C'est Christophe qui m'a envoyé ce qui est peut-être le témoignage le plus dur reçu dans cet appel à tous sur l'amour, pour cette série. Extrait:

A quoi ça sert d'être gentil, si personne ne nous aime? À quoi ça sert d'être respectueux, si personne ne nous aime? À quoi ça sert d'être drôle, si personne ne nous aime? À quoi ça sert d'être intelligent, si personne ne nous aime? À quoi ça sert d'être créatif, si ça n'impressionne personne? À quoi ça sert de vivre, si personne ne nous aime?

Christophe me suggérait de parler des gars comme lui, les vieux garçons. Il a 28 ans. Il n'a jamais eu de blonde.

Jamais, comme dans jamais.

«Je suis comme l'ami gai des filles. Asexué, à leurs yeux», me dit-il, en entrevue.

La peine d'amour l'a fait «déraper», selon ses mots. Aujourd'hui, Christophe pèse 400 livres. Disons que son obésité morbide cache tout le reste. Je ne le sens pas amer, au bout du fil, juste triste; une tristesse comme un bruit de fond, toujours là, à la fois imperceptible et impossible à ignorer...

«Les rares fois où j'en ai parlé à mes amis, ils ne comprennent pas. Ils sont 100% subjectifs, parce que ce sont mes amis, justement. Ils me disent: Bah, dans deux jours, tu vas trouver l'amour au coin de la rue... C'est n'importe quoi, bien sûr. Donc, je n'en parle pas.»

Ce que me disait Christophe, sans me le dire, c'est que le discours sur l'importance bien relative de l'apparence, sur les yeux du coeur et tout ça, c'est de la bullshit...

«La personnalité, j'en suis certain, peut rendre plus beau. Mais il y a des limites. Je ne suis pas assez attrayant pour que quelqu'un ait même envie d'essayer de voir ma personnalité.»

Christophe me proposait une chronique sur les vieux garçons. Mais au fond, c'est une chronique sur le désespoir sentimental absolu. La phase terminale, le no man's land de l'amour: une chronique sur ce petit pourcentage de nos semblables pour qui l'apparence sera toujours la muraille de Chine qui les sépare de ce besoin humain: aimer, être aimé.

Devant ce désespoir, j'étais comme quelqu'un qui rencontre un être cher, après que celui-ci a reçu son diagnostic de cancer incurable: je disais des niaiseries.

- Il y a... Il y a des chirurgies, non?

- Oui. Il y a la chirurgie bariatrique, qui réduit la taille de l'estomac. Mais c'est très, très cher. Dans mon cas, c'est cinq ans, pour amasser les sous. Je ne suis pas couvert par l'assurance-maladie...

...

- Et disons que je fais la chirurgie. Après, j'aurai cet excédent de peau. Une peau vieillie, molle. Je serai pas plus beau, tout nu.

Eh bien, l'amour, ai-je bredouillé stupidement, l'amour, c'est... c'est... c'est vaste, Christophe, non? Y a pas que l'amour romantique, y a...

«Tu parles des amis? J'ai des amis. Ça va, de ce côté-là, je suis comblé. Mais on s'entend que ce ne sera jamais la même intimité, la même forme d'amour.»

Oui, on s'entend, ai-je dit, en pensant que je venais de dire une autre niaiserie.

- Donc, la solution, Christophe, c'est...

- C'est d'accepter mon sort.

Courriel de Christophe, longtemps après l'entrevue :

La grande vérité c'est que je ne m'aime pas. Et contrairement à ce que certaines personnes autour de moi croient, ce n'est pas parce que je suis gros que je ne m'aime pas, c'est l'inverse. Je suis gros parce que je ne m'aime pas.

Le résultat demeure quand même que je suis en manque d'amour.

Fait 30 ans que j'attends qu'on pose un regard tendre sur moi.