Il s'en dit des choses sur les gens infidèles. Rarement dans la dentelle. Mais tous les infidèles ne sont pas chroniques, salauds, immoraux. Un psychologue américain porte un regard inusité sur le phénomène : et si, derrière l'adultère, se cachait parfois un mal de vivre profond ? Et si on trompait son partenaire pour chasser son blues ? Et si l'infidélité pouvait guérir notre dépression ? Tabou, vous dites ? Explications. Témoignages. Et critiques.

Une théorie controversée

David Ley n'a pas peur de la controverse. Il faut dire que le psychologue américain maîtrise l'art de bousculer les idées reçues et les valeurs socialement acceptables. Son expertise ? Les questions taboues que sont la monogamie, les dépendances sexuelles, et l'infidélité féminine.

Dans un article publié sur le site Psychology Today, il pose carrément la question : et si l'infidélité pouvait guérir la dépression ? Avouez que vous n'y aviez pas pensé...

Arguments béton à l'appui, le psychologue explique que contrairement aux idées reçues, non, les femmes infidèles (sujet auquel il a consacré un livre : Insatiable Wives) ne le sont pas nécessairement parce qu'elles sont malheureuses dans leur relation. Mais, dans certains cas, parce qu'elles sont malheureuses tout court.

Mieux, poursuit-il : en sautant ainsi la clôture, il se passerait tout plein de choses, tant au niveau psychologique que chimique, qui, croyez-le ou non, viendraient soulager, ne serait-ce que temporairement, la dépression. Comme si le corps, quoique inconsciemment, cherchait ici à sauver sa peau.

Boost psychologique et chimique

Sur le plan psychologique, d'abord, on le sait, une nouvelle relation, surtout interdite, a un je ne sais quoi d'excitant qui tempère les sentiments dépressifs, écrit le psychologue. Sans parler des bienfaits pour l'estime de soi. « Quand une femme a une aventure, elle fait des efforts pour être plus attirante, prend soin de son corps, et a un comportement plus santé. »

« Les femmes infidèles sont plus actives sexuellement, font plus d'exercice et, physiologiquement, ont un comportement qui vient contrecarrer la léthargie associée à la dépression», affirme David Ley.

Sur le plan chimique, ensuite, on sait que l'excitation associée à la rencontre physique d'un nouveau partenaire est associée à une hausse des niveaux d'ocytocine et de dopamine, bref, de bonheur. « La chimie du cerveau de la femme change, et son humeur aussi. »

Sans parler d'un dernier antidépresseur : le sperme. Le chercheur précise, le plus sérieusement du monde, que ce nouveau sperme, chargé de testostérone (lequel augmente la libido) contient aussi des substances neurochimiques, notamment de l'ocytocine (encore elle), qui agit de manière notable sur l'humeur.

Mieux qu'une relation fidèle

Et en quoi l'aventure interdite est-elle supérieure pour le moral à la relation fidèle ? Pourquoi pas simplement prescrire aux dépressifs de multiplier les rapports sexuels ? « Ce n'est pas la neurochimie associée au sexe en général qui entre ici en jeu, mais plutôt la chimie associée au rapport sexuel avec un nouveau partenaire en particulier, répond le psychologue, en entrevue. Nos corps réagissent différemment et surtout beaucoup plus fortement quand ils entrent en contact intime avec un nouveau partenaire. C'est à la fois excitant et stimulant, tout en étant épeurant et difficile. » Vrai, s'il existe des différences selon les sexes et les individus, reste qu'en gros « faire l'amour avec un partenaire établi, c'est très différent à la fois psychologiquement et physiologiquement que de faire l'amour avec un tout nouveau partenaire », résume-t-il.

De là à conseiller aux gens dépressifs de tromper leur conjoint, il y a un pas que le psychologue n'ose pas faire.

« Je vais être très clair. Je n'encourage pas ici l'infidélité. Notamment à cause de la pression sociale énorme en faveur de la monogamie et de la fidélité sexuelle dans nos cultures», mentionne David Ley.

Sans parler de tous les dommages collatéraux (« des conséquences personnelles et familiales dramatiques ») qu'une telle infidélité pourrait causer. Alors que faire ? « L'infidélité, ou mieux, une non-monogamie négociée pourrait être l'un des moyens à explorer pour contrôler indirectement certains aspects émotifs et affectifs associés à la dépression », conclut David Ley prudemment.

Consultez la biographie de David Ley sur le site Psychology Today.

En chiffres



Les plus infidèles


• Les hommes (32 % ont été infidèles)

• Les 35-54 ans (28 %)

• Les riches (36 % des gens dont le revenu du ménage dépasse 100 000 $ ont été infidèles)



S'ils étaient certains de ne pas se faire prendre


• 22 % des hommes seraient infidèles

• 5 % des femmes



Et votre partenaire?


• 1 personne sur quatre croit que son partenaire a été infidèle

• Les plus satisfaits sexuellement sont aussi ceux qui croient le plus que leur partenaire a toujours été fidèle (82 %)



Les infidèles sont les plus satisfaits de leur vie sexuelle


• 80 % des hommes qui ont déjà été infidèles sont satisfaits de leur vie sexuelle contre 70 % des hommes ont toujours été fidèles

• 65 % des femmes qui ont déjà été infidèles sont satisfaites de leur vie sexuelle contre 60 % des femmes qui ont toujours été fidèles

La parole aux infidèles

Ils ont sauté la clôture, une fois, deux fois, dix fois. Pour échapper au quotidien, s'abandonner à leurs pulsions, et se sentir en vie. Témoignages.

Instinct de survie

« Pendant ma vingtaine, j'ai été tout plein infidèle. Pourquoi ? Pour remplir un vide. J'avais la pire relation amoureuse au monde. Je ne recevais pas d'attention de mon chum. Et puis je n'allais pas bien. J'étais en dépression depuis très, très longtemps. [...] Ma thérapeute m'a dit que je trompais pour me garder en vie. J'allais chercher un bout de vie. Tu es en train de t'éteindre, et là, tu vis une décharge électrique. [...] Des fois, c'est pas du sexe que tu vas chercher, c'est de la tendresse, [...] de la joie, des papillons, de la douceur, de l'adrénaline. C'était des vacances. Des petits congés de la vie. [...] Comme une pilule. T'as un mal, tu prends une pilule. Ça engourdit. Tu te sens mieux sur le coup. [...] C'est de l'adrénaline. De l'électricité. Tu te sens en vie. Un boost. Comme un antidépresseur. Ça relance le système électrique du cerveau et du corps. [...] Ma thérapeute m'a dit que c'était mon instinct de survie. »

- Nathalie*, dans la quarantaine

Comme un alcoolique

« Pendant ma trentaine, je me définissais surtout comme la mère, la conjointe de... J'avais un peu oublié la femme que j'étais. Et puis j'ai eu une opportunité avec quelqu'un qui me plaisait vraiment beaucoup. Ça a été l'occasion de retrouver le plaisir de la séduction, le pouvoir de rendre un homme fou. C'était flatteur pour mon ego. [...] Il y a beaucoup d'adrénaline qui vient avec ça. On dit "une aventure", le mot n'est pas anodin. C'est une aventure : stimulante, excitante, dangereuse. Et puis je retrouvais une partie de moi oubliée. Une partie de moi qui avait été très présente. Avant mes enfants, j'étais un peu une croqueuse d'hommes [...]. J'avais besoin de ça. Comme un alcoolique ou un drogué. Tu cherches cette ivresse-là. [...] Chimiquement, dans le corps, c'est comme un high, une ligne de coke. Ça devient ton moteur, ta béquille, ton carburant. C'est artificiel, tu sais que ça ne durera pas toujours, que ça fera mal, mais tu le fais pareil. [...] Je me sentais vivante. La vie est souvent morne, monotone, prévisible. Ça prend des parenthèses. »

- Geneviève*, dans la quarantaine

Oublier le malaise

« Il y a des gens qui sont capables de contrôler leurs pulsions. La société nous impose de les contrôler, mais à un moment donné, si on est désinhibé, soit à cause d'un malaise dans le couple, quelques verres de trop, ou un malaise, point... À un moment donné... Oui, moi, j'ai toujours un malaise. Je suis pris entre un très grand désir de liberté, un désir d'étancher ma curiosité, mon instinct de vie, mes pulsions vitales épicuriennes, et un désir de me conformer aux gens qui ont confiance en moi. De ne pas leur faire mal. [...] Même si je sentais que je trahissais les gens qui m'aimaient, je me sentais extrêmement vivant à ces moments-là. Chimiquement, je sentais le fluide de la vie. [...] Oui, ça fait oublier momentanément ton mal-être. Mais il y a des down. Et plus tu montes haut, plus tu tombes bas. T'es pris avec ta conscience, moi j'ai toujours été malheureux de trahir les femmes qui m'aimaient et que j'aimais. [...] Oui, j'ai toujours été bien dans ma vie de couple, mais jamais je ne me suis senti complètement serein, complètement à ma place. [...] Il y a quelque chose de joyeux dans l'abandon, le sans lendemain, le "ce soir on vire fou", il y a quelque chose de fun et libérateur. [...] Mais le prix de cette libération-là ? C'est très élevé. Beaucoup trop élevé... »

- Marek*, dans la quarantaine

*Pour des raisons évidentes, les personnes interviewées ont requis l'anonymat.

L'avis du psy

Nous avons interrogé le psychologue François St Père, spécialiste du couple, sur le lien possible entre la dépression et l'infidélité.

Des facteurs personnels...

Le psychologue n'a jamais entendu personne se servir d'une dépression pour justifier un écart de conduite, souligne-t-il amusé. « Mais il y a des éléments personnels et relationnels qui peuvent rendre les gens plus vulnérables à l'infidélité », concède-t-il. Un exemple ? Un décès (entraînant un sentiment d'urgence de vivre) ou un doute sur son orientation sexuelle (et le besoin d'expérimenter).

...ou relationnels?



« C'est l'oeuf ou la poule ? », s'interroge François St Père. La relation ou la dépression ? « Est-ce parce que les gens sont déprimés qu'ils sont portés à faire des rencontres, ou est-ce parce qu'à la base, dans leur relation d'origine, ils ne trouvent plus de réponses à leurs besoins qu'ils sont plus vulnérables à rencontrer quelqu'un d'autre ? »

Pas seulement dans les couples qui vont mal..

À noter : non, ce n'est pas parce que le couple va mal que l'on va nécessairement voir ailleurs, poursuit-il. « Certaines personnes ont besoin de nouveauté, poursuit le psychologue, de davantage de stimulation que seule la nouveauté peut apporter. Ils ne sont pas en démarche pour remplacer leur partenaire, mais ont besoin de stimuler la relation. »

...ni un comportement prémédité

Une infidélité survient aussi parfois comme ça, sans crier gare. « Un gars se retrouve dans un congrès, il a envie. La nature humaine est faite comme ça. Des fois, ce n'est pas parce qu'il y a une insatisfaction, il n'y a rien, c'est juste que ça arrive comme ça. »

Une chimie du bonheur

Vrai, l'aventure sexuelle, tout comme une activité créatrice ou un accomplissement sportif intense, bouscule la chimie du cerveau. « Sur le plan biochimique, ça chamboule le cerveau, explique François St Père. Il y a une augmentation des neurotransmetteurs, de dopamine et de sérotonine. » Fait à noter, « c'est exactement ce que l'antidépresseur fait dans le cerveau », dit-il. D'où l'aspect « antidépressif » et « euphorisant » de l'affaire.

Des conséquences souvent dramatiques

Chaque semaine, le psychologue est témoin d'aventures du genre. Et chaque semaine, il voit des vies brisées. « C'est rare de vivre ça sans culpabilité, sans honte, j'ai rarement vu des gens vivre ça sereinement. » Au contraire. Souvent, les gens plongent dans une dépression plus profonde encore, notamment au moment de la découverte, de la séparation, etc. « Jamais je ne pourrais recommander ça. »