Le procès de l'ex-animateur de CBC Jian Ghomeshi, accusé d'agressions sexuelles, a exposé au grand jour des pratiques marginales, comme l'asphyxie érotique. Un jeu extrême exercé depuis des siècles selon des codes bien précis et une règle d'or : celle du consentement. Coup d'oeil sur un phénomène controversé qui comporte un risque non négligeable : la mort.

Flirter avec la mort

Ce pourrait être le plus vieux jeu sexuel du monde. Déjà au XVIIIe siècle, le marquis de Sade décrivait une scène où son personnage atteignait l'orgasme à la suite d'une séance de strangulation. Près de 300 ans plus tard, l'asphyxie érotique continue d'être pratiquée sous toutes ses formes, dans la plus grande discrétion. Avec le risque, bien réel, de passer l'arme à gauche.

C'est précisément cette recherche d'intensité et ce flirt avec la mort qui attirent les adeptes de cette pratique sexuelle alternative, qui consiste à couper temporairement la respiration en exerçant une pression sur les artères carotides, par exemple, limitant ainsi le flux du sang au cerveau et provoquant, dans certains cas, un évanouissement.

Même si plusieurs blogues et forums de discussion abordent le sujet de front et que les sites pornographiques en donnent des exemples explicites, il est difficile de mesurer l'ampleur de cette pratique.

« Les gens qui pratiquent ces activités ne nous consultent pas, dit le Dr Michel Campbell, psychologue et sexologue. Parce qu'ils ont du plaisir. On nous consulte lorsqu'un des conjoints s'en plaint ou qu'un parent découvre que son enfant s'adonne à cette pratique. À la suite d'une hospitalisation, par exemple. Mais c'est une pratique marginale. Je ne crois pas qu'elle touche plus de 1 % de la population. »

Augmentation du plaisir

Julie, 33 ans, s'adonne aux jeux de strangulation depuis quatre ans. C'est précisément cette relation de pouvoir qui l'attire. « Lorsque mon partenaire m'étrangle, de façon consensuelle évidemment, cela m'amène à un niveau de lâcher-prise vraiment élevé. Je lui donne en quelque sorte le contrôle sur ma vie, en ayant pleinement confiance qu'il en prendra soin ! »

Au-delà du jeu de domination, le manque d'oxygène au cerveau peut entraîner une augmentation du plaisir sexuel, explique le Dr Louis Morissette, médecin psychiatre à l'Institut Pinel.

« L'asphyxie partielle entraîne également un état de confusion qui, pour certains, peut être agréable », ajoute-t-il.

Julie, qui entretient cette relation de pouvoir avec son maître BDSM (bondage, domination, soumission, sadomasochisme), précise que c'est en reprenant conscience, après s'être évanouie quelques secondes, qu'elle retire du plaisir.

« Le plaisir survient lorsque l'air est de nouveau disponible, précise-t-elle. Combiné à une stimulation sexuelle intense, on ressent une explosion de sensations absolument euphorisantes qui peut amener à des orgasmes puissants, à un état de conscience altéré très plaisant, à une sensation de bien-être où on vit totalement dans le moment présent avec un sentiment de proximité pour notre partenaire. »

Risque de mort

Malheureusement, toutes les expériences d'asphyxie partielle ne se terminent pas en orgasmes, mais certaines par la mort.

« Il suffit qu'on serre un peu trop longtemps pour qu'on meure, explique le Dr Morissette. En vieillissant, il y a aussi un risque plus élevé d'embolie - pour les personnes qui souffrent de cholestérol. En manipulant la carotide, on peut aussi toucher le nerf vague, qui contrôle le rythme cardiaque. Et puis, il ne faut pas oublier qu'à force de provoquer une asphyxie partielle, on tue chaque fois des cellules du cerveau. »

L'asphyxie partielle peut être pratiquée seul, de façon sexuelle ou non (comme c'est le cas dans une scène du film Endorphine d'André Turpin), mais le risque de mort est nettement plus élevé, explique le Dr Morissette. « S'ils se nouent une ceinture ou un foulard autour du cou, qu'ils s'enroulent de pellicule plastique ou qu'ils se mettent un sac sur la tête et qu'ils perdent connaissance, comme c'est souvent le cas, ils peuvent se pendre accidentellement. On peut parfois croire à un suicide, même si ce n'est pas le cas. »

On peut présumer que ceux qui s'adonnent à ces pratiques sexuelles le font prudemment puisqu'on entend peu parler d'eux. Le Dr Morissette pour sa part rencontre rarement des gens pour une dépendance à l'asphyxie érotique. « Le plus souvent, ce sont des adolescents qui font ça pour remplacer la sensation d'inhalation de la colle ou de hasch, pour obtenir un "high". Ça n'a pas de connotation sexuelle. »

Le consentement, une règle d'or

Selon le Dr Morissette, c'est le consentement des partenaires qui permet de classer cette pratique comme une habitude sexuelle alternative sans conséquence (désignée par le terme de paraphilie) et non comme une agression physique qui provoque des blessures ou un trouble mental comme le sadisme.

« À ce moment-là, bien sûr que ça peut dégénérer. La plupart des tueurs en série souffrent de sadisme. Mais ce n'est pas parce qu'il n'y a pas eu consentement que quelqu'un souffre automatiquement de trouble sadique. »

Peu de cas parmi les BDSM

On pourrait croire que cette pratique est fréquente dans les communautés BDSM. Mais ce n'est pas le cas, nous dit Julie, qui ne connaît pas d'autres membres de la communauté qui pratiquent l'asphyxie partielle. Jessica Caruso, qui détient une maîtrise en sexologie et qui s'apprête à publier un livre sur le sujet, estime qu'il s'agit d'une pratique extrême très peu observée chez les adeptes de domination, justement parce que le danger lié à l'asphyxie est élevé.

« C'est très mitigé... Ceux qui la pratiquent, insiste-t-elle, sont très stricts sur l'utilisation des mots de sécurité [safewords] à communiquer à leur partenaire pour mettre fin à une séance de strangulation qui va trop loin (en disant les mots jaune ou rouge). Si la personne ne peut pas parler, elle doit s'entendre avec son partenaire sur un signal à donner pour arrêter l'étouffement. »

« Je pratique cette activité uniquement avec mon partenaire en qui j'ai pleinement confiance et avec qui j'ai discuté en long et en large de la pratique et de mon consentement, insiste Julie. Je n'ai jamais senti qu'il perdait le contrôle. Si je ne suis pas à l'aise et que je gigote un peu, il le voit tout de suite et il arrête. J'ai une entière confiance en lui. »

À quoi joue Jian Ghomeshi?

Jian Ghomeshi aimait le sexe agressif et les jeux de domination, il ne s'en est jamais caché, mais serait-il été trop loin ? Ses partenaires étaient-elles toutes consentantes ? Au cours de ces ébats extrêmes, lui ont-elles demandé d'arrêter ? Les a-t-il écoutées ? Voilà quelques-unes des questions auxquelles le juge William Horkins, de la Cour de l'Ontario, devra trouver réponse au cours des prochaines semaines. D'ici au 24 mars prochain, voici quatre questions soulevées par le dossier.

Les pratiques sexuelles de Jian Ghomeshi font-elles partie des pratiques de la communauté BDSM (bondage, domination, soumission, sadomasochisme) ?

On ne sait pas exactement tout ce qui s'est passé, nous dit Julie, adepte d'asphyxie érotique et membre d'une communauté BDSM. Mais accoter une fille contre un mur, lui tirer les cheveux, la frapper, l'insulter, l'étouffer sans l'aviser, ça n'a rien à voir avec le BDSM, ce sont des agressions. Dans les rapports BDSM, il y a toujours une discussion sur ce qui se fait entre les partenaires. Tout est discuté et consenti. Il y a des limites qu'on pose pour ne pas s'infliger de blessures.

L'asphyxiophilie est-elle considérée comme un trouble ou une déviation ?

C'est une déviation dans la mesure où ça sort des sentiers battus, répond le sexologue Michel Campbell. Ça fait partie des comportements exceptionnels, qui sont rares. Le Dr Louis Morissette estime que s'il y a consentement, normalement, il n'y a pas d'agression. Mais il rappelle que malgré ce consentement, le droit canadien ne reconnaît pas le droit de se faire mal. Cela dit, de nombreux couples pratiquent l'asphyxie érotique de manière consensuelle, en prenant toutes les précautions qu'il faut pour que ça se passe bien.

Y a-t-il eu consentement ou non ?

Le consentement est au coeur de l'affaire entendue par le juge Horkins. Le Dr Louis Morissette n'a pas étudié tous les éléments soumis au procès de Ghomeshi, mais il émet une hypothèse : « Je crois que les pratiques sexuelles passées de l'ex-animateur, avec des filles qui ne refusaient pas ses jeux de domination ou de strangulation, combinées à son statut de personnalité publique, ont fait en sorte qu'il a fini par ne plus demander la permission à ses partenaires. Est-ce que ça fait de lui quelqu'un porteur d'un trouble sadique ? Pas nécessairement. »

Quel est le portrait type de la personne qui s'adonne à ces pratiques ?

Il n'y a pas de portrait type, croit Michel Campbell. Mais on peut dire que ce sont souvent des personnes excentriques, qui aiment explorer les comportements sexuels extrêmes. Ce sont des gens qui peuvent être très intenses. On peut intervenir pour réduire ce besoin compulsif de sexualité en prescrivant des antidépresseurs (qui diminuent la libido) et en suivant une psychothérapie. Mais il y a beaucoup de gens qui vont bien doser leurs comportements et qui n'ont absolument pas besoin de consulter.