Lorsque Micheline - autrefois Pierre - a annoncé qu'elle souhaitait porter une robe blanche à son mariage, sa fiancée Michèle a éclaté en sanglots. Lors de la cérémonie, elle a craint perdre connaissance en marchant vers l'autel. «Ça a été un mauvais moment à passer. Mais il était si heureux», confie la mariée, neuf ans plus tard.

Lors de leur première rencontre, professionnelle, Micheline s'est présentée vêtue d'un grand chapeau de fourrure et d'un manteau noir. Des cheveux blonds bien longs et un maquillage discret. «Je ressentais son énergie masculine. J'ai vu un beau grand viking », dit Michèle. Le surnom est resté.

Malgré ses appréhensions, Michèle a eu tous les symptômes du coup de foudre. Perte d'appétit et coeur qui s'emballe. «J'aimais ses yeux bleus remarquablement beaux, son sens de l'humour, son intelligence. Ça m'a séduite.» Une semaine plus tard, elle rêvait qu'ils se mariaient.

Micheline est un mélange de féminin et de masculin. Ni tout l'un ni tout l'autre. Un transgenre ? Officiellement oui. «Je suis moi», préfère dire Micheline. Elle avait annoncé ses couleurs à Michèle avant leur première rencontre, en 2000. Cela faisait deux ans qu'elle était sortie du placard. Désormais, l'avocate plaidait, enseignait et étudiait en femme. «Je trouvais ça amusant. J'aimais son côté fantaisiste. J'ai à tort compris que c'était temporaire, j'ai été piégée», confie Michèle, en souriant.

Micheline n'est jamais partie. Elle a même temporairement pris des hormones - mais a cessé parce qu'elles la faisaient engraisser - et a déjà songé aux implants mammaires. «On a eu de grosses discussions. Jamais je n'aurais pu l'accepter, peut-être parce que j'avais des problèmes avec ma propre féminité», philosophe Michèle. Est-ce pour cela que la transition s'est arrêtée là ? Peut-être, admet Micheline.

«J'accepte ma part de masculinité, mais je préfère m'habiller en femme, pour mon mieux-être», dit Micheline. Jamais elle n'a ressenti le besoin d'aller jusqu'au bout, précise-t-elle, contrairement aux transsexuels pour qui le changement de sexe est une question de vie ou de mort. «De toute façon, Michèle ne voudrait pas et mon couple est plus important.»

Si Michèle a accepté Micheline en public, jamais celle-ci n'a été la bienvenue dans le foyer conjugal. «Mon mari est un homme. En privé, c'est Pierre. C'est clair depuis le début entre nous. Je ne veux pas qu'il s'habille en femme dans la maison.» Jamais elle ne l'a appelée Micheline. Pourtant, c'est son prénom officiel, obtenu en 2002 après cinq ans de bataille judiciaire.

Même juchée sur des talons hauts et vêtue d'une robe, c'est Pierre. N'empêche, Michèle prodigue des conseils sur son look qu'elle trouve parfois trop osé. Elle le fait toujours avec respect. Micheline se plie à ses demandes, consciente de l'ouverture qu'elle demande à Michèle. Si les voisins, les amis proches et la famille acceptent bien la transgenre, les préjugés sont tenaces et nombreux.

« Je trouve difficile de voir que les gens rient de lui. Mon mari est quelqu'un de bien, généreux, très intelligent. Les gens qui médisent ignorent sa valeur, c'est ce qui me blesse», confie Michèle, qui a couché sur papier son histoire d'amour dans son livre Suivre le courant (2011).

Michèle s'est adoucie avec les années. Micheline aussi. «Il m'arrive même de trouver certains de ses maquillages beaux. Je le harcèle moins pour qu'il se change dès qu'il met les pieds dans la maison. Il porte des vêtements plus androgynes, ça me convient. Il a vécu ce qu'il avait à vivre, je pense.» Le syndrome Marilyn Monroe s'estompe, avance-t-elle. « Avec l'âge, il ne peut plus espérer projeter l'image d'une femme idéale. Il a un deuil à faire. Toutes les opérations du monde ne feraient pas de lui une femme.»

«J'ai réalisé que Micheline et Pierre se confondent en un seul individu. Je me trompais en disant que Micheline était un personnage. Elle ne l'est pas», écrit Michèle dans son livre. Malgré tout, Michèle fantasme encore sur Pierre, le jeune homme à la veste de cuir et la Harley-Davidson qu'elle a vu uniquement sur photos.

Elle aime son homme au naturel, pas maquillé, ni épilé. Lorsqu'il lui sourit affectueusement, contemple les oiseaux ou prend soin de leurs chats et chiens, plus rien d'autre ne compte pour elle. Son mari porte une robe et du rouge à lèvres en public ? Et après. Il demeurera toujours son beau grand viking.