Il y a quelques semaines, Daniel a fait le grand saut. Il a emménagé chez Mélanie*, sa nouvelle compagne. Située dans Lanaudière, la maison est modeste, mais douillette. Comme un cocon dans lequel il fait bon se blottir et oublier un quotidien qui pèse parfois lourd. Des amoureux comme les autres? Oui. À la différence qu'ils sont tous deux transsexuels.

C'était il y a un an, en mai. Quand Daniel a croisé les pétillants yeux bleus de Mélanie, son coeur a fait trois tours. Il a eu le coup de foudre pour cette grande blonde au corps svelte et aux traits délicats. Une femme «biologique», pensait-il. Dès la première rencontre, elle lui a dit qu'elle était transsexuelle. Il a fait de même.

Si leur histoire est peu commune, leur couple est plutôt banal, disent-ils. «On travaille, on fait le ménage, on est stressés par un rythme de vie débile», dit Mélanie. Ils n'auront jamais d'enfants - ils ont des rats et un python nommé Jack! -, mais caressent déjà tout plein de projets. Des rénovations, des randonnées de vélo, des vacances.

Mélanie a 30 ans. Elle est intervenante. À 7 ans, lorsqu'elle a demandé robes et poupées à sa mère, qui a fortement réagi, elle a réalisé qu'elle habitait un corps de garçon. Toute son adolescence, Mélanie a inhibé son identité féminine. Elle s'est entraînée à fond pour exprimer sa virilité. «Je voulais tellement être un gars.»

À 20 ans, elle a craqué d'avoir trop refoulé. Dépression majeure. Quelques mois plus tard, elle est sortie du placard et a commencé à vivre en femme. C'était en 2002. La transition complète a été longue et parsemée d'embûches. Elle a perdu son emploi et coupé les ponts avec sa mère. En janvier 2011, elle a été opérée. «J'étais enfin complète.»

Daniel a 45 ans. Il est col bleu. Tout jeune, il rêvait d'uriner debout, d'avoir une barbe à tailler. Lorsqu'on l'affublait de bigoudis, il faisait des crises épouvantables. «On nous installe dans un rôle qui n'est pas le nôtre. C'est affreux.» Jusqu'à il y a cinq ans, il a vécu en femme. Pendant 20 ans, il a été en couple. Il s'est marié. Il a joué le jeu. «Je combattais ma nature. Je m'enterrais vivant», confie Daniel. Il a fait deux tentatives de suicide. Son couple n'a pas tenu, il s'est séparé en 2007. Costaud, la voix grave et la barbe saillante, Daniel a aujourd'hui tout d'un homme. Ne manque que la phalloplastie. Il passera sur la table d'opération en février 2013. Il compte les jours, impatient.

Un couple vrai

Mélanie s'est d'abord montrée distante devant Daniel. Elle était davantage attirée par les femmes. Un mois plus tard, elle l'a néanmoins invité à souper chez elle. «J'étais tellement nerveuse. Ça faisait neuf ans que j'étais seule et c'était le premier homme dans ma vie.» Ça a cliqué. Sauf dans l'intimité. «J'ai acheté le kit comme il est là, mais j'ai dû m'habituer.»

Comme Daniel n'est pas encore opéré, Mélanie ne voyait que l'entre-deux. Un corps mi-homme, mi-femme. Elle-même a eu terriblement de mal à vivre cette étape. Daniel, lui, avait honte. «Au début, je ne me montrais jamais nu, j'éteignais les lumières. Je voulais que Mélanie me voie comme un vrai homme.» Ils ont beaucoup parlé. La communication est la base de leur couple. «Il ne faut pas croire que l'amour est plus facile entre deux trans», lance Mélanie.

Dans leur regard, derrière les étincelles, la souffrance si longtemps accumulée n'est pas loin. La peur non plus. Peur de la solitude. Peur de la précarité. Peur que le bonheur ne dure pas. Quand on naît transsexuel, on marche toujours sur un fil. «Daniel est un ange entré dans ma vie. Mais je ne tiens rien pour acquis. Notre couple en est plus vrai, authentique», confie Mélanie, en caressant le bras de Daniel.

Quand Mélanie s'arrête devant le miroir et que les larmes lui montent aux yeux parce qu'elle voit une mâchoire trop carrée, des bras trop musclés et des mains trop grandes, Daniel la prend dans ses bras et lui dit qu'elle est la plus belle. Lorsque Daniel revient du boulot démoli après avoir reçu un commentaire dénigrant d'un collègue, Mélanie s'assoit à ses côtés, lui prend la main et attend en silence que la tempête passe. Elle comprend. Il le sait.

* Prénom fictif.