Alors qu'un nombre grandissant de consommateurs s'intéresse de près aux ingrédients contenus dans leurs cosmétiques, plusieurs se tournent vers le naturel. Encore relativement peu connus ici, les parfums botaniques connaissent un essor considérable, notamment en Californie. La Presse s'est rendue à Los Angeles à la rencontre de parfumeuses qui ont décidé de dire adieu aux ingrédients synthétiques.

Sentir la (vraie) rose

On a tendance à l'ignorer ou à l'oublier, mais malgré leurs sublimes effluves de rose, de fleur d'oranger ou de jasmin et leurs publicités tapissées d'immenses champs de lavande, les parfums commerciaux contiennent, en grande partie, des composantes synthétiques.

En effet, les parfums traditionnels, ceux qu'on retrouve partout sur les tablettes, sont un mélange à proportion variable de fragrances naturelles et de molécules de synthèses, créées en laboratoire.

Fruits de l'essor de la chimie au milieu du XIXe siècle, ces molécules synthétiques, comme la coumarine (une molécule qui existe à l'état naturel dans la fève tonka) ou les aldéhydes (utilisées pour la première fois dans Chanel N5, lancé en 1921) ont révolutionné la parfumerie, introduisant des nouvelles odeurs qui n'existent pas dans la nature ou d'autres essences impossibles à extraire comme celles du muguet ou du lys. Résultat : une palette de plus en plus infinie avec laquelle les parfumeurs peuvent jouer de créativité.

Mais là où on gagne certainement en polyvalence et en possibilités, on perd en authenticité, arguent certains qui ont choisi de retourner à la base de la parfumerie traditionnelle en créant des jus uniquement à partir d'extraits naturels - huiles essentielles, résines végétales, absolus, hydrolats - et en utilisant des alcools végétaux de qualité, souvent biologiques.

«Ce qu'on oublie souvent, c'est que les parfums naturels offrent un bénéfice pour la santé, bien sûr, mais aussi sensoriel. Prenons l'essence de rose: d'un côté, une huile essentielle, de l'autre, une molécule synthétique. Quelle est la différence? Il y en a plusieurs, mais la vraie différence est très simple, mais énorme: l'une est issue de la rose, l'autre est une imitation!», explique Alexandra Balahoutis, le nez derrière la marque californienne Strange Invisible Perfumes.

Une palette naturelle

S'il est relativement facile de composer un parfum artisanal à partir de quelques essences et d'alcool, obtenir profondeur et tenue est plus ardu. C'est d'ailleurs une des critiques souvent formulées à l'égard des parfums naturels.

La raison? Le nombre limité de matières premières accessibles: quelques centaines comparées aux milliers de molécules synthétiques sur le marché. Mais des maisons de parfums botaniques commencent à changer la donne. Parmi elles, la française Honoré des Prés et la californienne Strange Invisible Perfume, qui tient boutique sur le boho-chic boulevard Abbot Kinney, dans le quartier de Venice Beach, depuis 2000.

Mme Balahoutis s'intéresse aux parfums botaniques depuis les années 90. Passionnée et entêtée, elle s'est alors donné comme mission de créer des parfums naturels haut de gamme et sans compromis et ainsi «prouver» à l'industrie qu'il était tout à fait possible de faire un jus de qualité à partir d'ingrédients 100 % naturels. Une idée très subversive à l'époque, se souvient-elle, alors que la parfumerie naturelle était souvent discréditée.

«La parfumerie botanique représente vraiment l'essence de la parfumerie. La parfumerie originelle n'était pas botanique, car les parfumeurs utilisaient alors des essences animales, mais elle était naturelle.»

«Les parfumeries commerciale et botanique sont très différentes, entre autres parce que les parfumeurs ne sont pas formés de la même façon, indique Mme Balahoutis. Il y a une longue courbe d'apprentissage pour apprivoiser et développer une palette "naturelle". Il faut également apprendre à savoir reconnaître une huile essentielle de qualité. Comme on arrive à reconnaître un vin exceptionnel avec l'expérience.»

Le défi de l'approvisionnement

Trouver des matières premières de qualité est un des plus grands défis des parfumeurs botaniques, confirme Krystal Quinn Castro, une Québécoise installée à Los Angeles qui est derrière la marque Los Feliz Botanicals Perfumes, qui nous a accueillis dans son espace de création, au centre-ville.

«L'approvisionnement, c'est très difficile, mais c'est aussi mon obsession, avoue Mme Quinn Castro. Les huiles essentielles, c'est comme le vin. Une année peut être exceptionnelle et la suivante, terrible! Il y a des pénuries, comme en ce moment la vanille, des essences rares comme le tiaré pour lesquelles on doit passer par des connexions... C'est quasiment du trafic de drogues... mais légal!»

Un casse-tête qui vaut la peine, selon les parfumeuses interrogées, car rien n'équivaut à une matière première - fleur, fruit, bois - de laquelle on a extirpé l'essence par un délicat processus d'hydrodistillation dans un alambic ou d'enfleurage avec un corps gras, par exemple. Aux parfumeurs, ensuite, de jouer de leur orgue d'essences pour créer un jus qui saura enivrer les sens.

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Alexandra Balahoutis, le nez derrière la gamme de parfums botaniques Strange Invisible Perfumes.

Trois entreprises californiennes

Strange Invisible Perfumes

Projet de la parfumeuse Alexandra Balahoutis, Strange Invisible Perfumes est certainement une des marques de parfums botaniques les plus raffinées et luxueuses au monde. La femme d'affaires y poursuit sa quête de la perfection, en recherchant des matières premières d'exception, en travaillant de près avec plusieurs distillateurs dans le monde et en distillant elle-même ses essences afin de créer ses jus uniques, vieillis six mois dans un alcool de raisin biologique. «Il y a une immense satisfaction à prendre des huiles essentielles brutes et à les combiner pour créer un parfum. C'est un peu comme peindre en créant ses propres pigments plutôt qu'en utilisant les couleurs des autres.»

https://www.siperfumes.com/

Los Feliz Botanicals Perfumes

Née à Laval, Krystal Quinn Castro vit à Los Angeles depuis 11 ans. Après avoir étudié l'aromathérapie, elle s'est tournée vers la parfumerie naturelle, où elle a parfait ses connaissances auprès de la Californienne Mandy Aftel, très reconnue dans le milieu. Elle a lancé l'an dernier Los Feliz Botanicals Perfumes, une entreprise de parfums 100 % naturels, à base d'alcool de maïs biologique. Sa particularité: chacune des cinq fragrances est inspirée par des endroits représentatifs de la Californie comme la vallée de Yucca ou le quartier Los Feliz à Los Angeles. «Certains parfumeurs ont une approche très clinique, très calibrée, mais ma méthode est plus organique, sentie ; elle s'apparente davantage à la création d'un tableau.»

* En attente de certification, la marque sera offerte bientôt au Canada, via le site web The Detox Market.

http://www.losfelizbotanicals.com/

By Rosie Jane

Originaire d'Australie, Rosie Jane Johnston est une maquilleuse professionnelle de célébrités, qui a lancé sa ligne écoresponsable, en 2012. Ses produits, dont une jolie gamme de quatre fragrances à base d'alcool de canne biologique ou d'huile de noix coco biologique, sont fabriqués en petites productions, à la main, à Los Angeles. En plus des ingrédients d'origine naturelle, elle utilise des huiles essentielles dites de « nature identique », créées à partir de plantes, mais combinées en laboratoire. « Je pense à l'environnement d'abord, et ensuite à l'aspect naturel. Les ingrédients naturels peuvent être bons pour l'humain, mais catastrophiques pour l'environnement, comme l'huile de palme. J'utilise donc parfois des ingrédients synthétiques, mais toujours sécuritaires, dans mes formulations. »

https://byrosiejane.com/

PHOTO OLIVIER JEAN, LA PRESSE

Strange Invisible Perfumes tient boutique sur le boulevard Abbot Kinney, à Venice Beach.

Dangereux, votre parfum?

S'il n'est pas dit que votre bouteille de parfum est dangereuse pour votre santé, des études posent tout de même la question de l'innocuité de certains ingrédients largement utilisés en parfumerie commerciale.

Une étude menée conjointement par l'organisme environnemental américain EWG and Campaign for Safe Cosmetics en 2010 a identifié 38 produits chimiques qui ne se retrouvaient pas sur les listes d'ingrédients - souvent regroupés sous le terme fourre-tout «fragrances», les entreprises n'étant pas tenues de dévoiler les secrets de leur composition - dans 17 marques de parfums commerciaux.

Parmi eux, le diéthylphtalate, un perturbateur endocrinien souvent utilisé pour dénaturer l'alcool éthylique et des composés chimiques irritants pouvant provoquer des réactions allergiques. C'est sans compter les dérivés pétrochimiques utilisés en tant que solvant, colorant ou pour dénaturer l'alcool et les fixateurs chimiques pour faire durer l'odeur des parfums plus longtemps.

Mais est-ce que les parfums botaniques sont sans reproche pour autant? Pas nécessairement, puisque les huiles essentielles sont également des agents irritants qui peuvent provoquer des réactions allergiques. Certains soulignent également que la quête pour certaines essences vient gaspiller de précieuses ressources naturelles, alors qu'on peut simplement les reproduire en laboratoire.

D'ailleurs, certaines entreprises vont faire le choix d'utiliser quelques molécules synthétiques dans leurs formulations majoritairement naturelles, question d'élargir leur palette. À l'inverse, d'autres, comme Escentric Molecules, vont miser à 100 % sur les molécules synthétiques, la chimie et la science.

Photo tirée de la page Facebook de Strange Invisible Perfumes

Un gros plan sur la fabrication d'une essence de rose biologique, un processus appelé hydro-distillation.