«Cuisiner» ses cosmétiques maison, à partir des ingrédients du garde-manger? Deux herboristes nous montrent que la fabrication des cosmétiques maison peut aussi s'apprivoiser... par le ventre.

Lier beauté et nourriture, une drôle d'idée? «Pas du tout! s'exclame Marie-Christine Vallières, herboriste-thérapeute agréée, présidente de la Guilde des herboristes, enseignante et propriétaire de l'herboristerie en ligne Les Âmes fleurs. Dans mes cours, j'apprends aux étudiants à préparer des cosmétiques à ce point naturels et sans danger... qu'on pourrait les manger. Partir du garde-manger pour en arriver à un produit de beauté, c'est tout simplement inverser le processus.»

De son côté, l'herboriste Dominique Laramée, fondatrice de Synergie Phytocosmétique à Val-David, est aussi d'avis que l'«appétit» - stimulé par l'odeur, la texture, la couleur - est une donnée sous-jacente à la fabrication de tout cosmétique.

Les mixtures composées de fruits, légumes, plantes et fleurs comestibles, bourrées de nutriments actifs, n'ont rien de surprenant aux yeux de celle qui offre à domicile, entre autres, des ateliers de cosmétiques dits «de cuisine» et «du potager». D'ailleurs, la recette de nettoyant visage «du jardin» à base de tomate et d'huile d'olive présentée en une de ce dossier, c'est elle. Elle en propose même une variation, où la tomate est remplacée par trois cuillères à soupe de carottes crues râpées pour obtenir un masque riche en bêta-carotène, excellent pour le teint, à laisser agir pendant une vingtaine de minutes.

Précautions d'usage

Mais les cosmétiques mitonnés maison, à partir d'aliments périssables, comportent-ils des risques? «Plutôt des limites. Si on veut fabriquer des crèmes, par exemple, on aura besoin d'un émulsifiant pour fusionner les phases aqueuse et graisseuse, comme de la cire végétale ou de la cire abeille, qu'il n'est pas fréquent de trouver dans le garde-manger», admet Marie-Christine Vallières.

Il est donc plus simple de s'en tenir aux exfoliants, gommages, lotions toniques et masques, des formules «à consommation immédiate». Comme ils ne contiennent pas d'agents de conservation, la durée de vie des cosmétiques maison est courte. Exception faite des préparations à base de vinaigre, qui se gardent quelques mois, il est conseillé de les utiliser dans les heures qui suivent.  

«Il faut être prudent, souligne Dominique Laramée. Naturel ne rime pas automatiquement avec hypoallergénique. Dans la mesure où la substance est absorbée par la peau, il faut tenir compte des allergies et intolérances (attention aux huiles de noix, par exemple). Il est même recommandé de pratiquer un test de tolérance cutanée au préalable, en appliquant quelques gouttes au creux du coude.»





Un vaste terrain de jeu

Le «cuisinier» pourra ensuite laisser place à l'improvisation et jouer avec les produits qui lui sont à portée de main. À la condition qu'ils appartiennent à la catégorie des végétaux et des produits de l'abeille, comme le café, le cacao, les eaux de rose ou de fleur d'oranger, le miel, les herbes, le curcuma, les huiles, qui ont d'aussi belles propriétés que les plantes médicinales. Et encore, rappelle Marie-Christine Vallières, à une époque pas si lointaine, le saindoux, obtenu à partir de la graisse de porc fondue, était fort prisé dans la confection des savons, pommades et onguents.

«Les gens aiment avoir des indications claires, poursuit-elle. Ils ont besoin d'être rassurés avec des mesures, des quantités exactes. Dans l'optique où on en fait une utilisation rapide et à des fins personnelles, on peut s'accorder certaines libertés. Je dis souvent à la blague à mes étudiants d'utiliser leur "pifomètre". De chercher non pas à suivre des règles, mais à obtenir des textures. Je tâche de leur inculquer un esprit libre et aventurier, un peu comme on le fait, justement, en cuisine, lorsqu'on part de zéro ou qu'on modifie une recette, la transforme, l'interprète...»

Même conclusion pour les règles d'hygiène: comme les produits ne sont pas destinés à la vente, elles ne sont ni plus ni moins exigeantes que lorsqu'on fait à manger pour soi.

Prêts en un tournemain, naturels, peu coûteux, l'un des avantages est de connaître et déterminer les ingrédients qui composent les pâtes et mélanges dont on s'enduit. «L'activité participe aussi de la découverte des propriétés d'aliments très communs et de leur étonnante polyvalence qui, elle, est méconnue. C'est la plus belle façon d'apprivoiser cette médecine douce et de s'approprier, progressivement, des produits cosmétiques adaptés à nos "goûts" et besoins. Comme les caractéristiques de notre peau varient au fil des saisons, on a ainsi accès au "sur mesure" toute l'année », complète Dominique Laramée.

L'aspect ludique de l'initiation au cosmétique maison fait aussi partie de l'approche de Marie-Christine Vallières. Elle conseille d'ailleurs de se mettre à deux (ou plus) pour partager le plaisir. Une belle solution de rechange au dimanche après-midi de popote. Après les confitures, les produits de beauté?

Masque aux fruits, plusieurs versions

(Recette de Dominique Laramée, Synergie phytocosmétiques)

Ingrédients

Quantités recommandées :

+/- 3 c. à soupe de fruit (écrasé, en purée ou mixé)

1 c. à thé de matière grasse (huile végétale, yogourt nature, fromage blanc ou crème fraîche)

Versions

Bonne mine: abricot et huile d'amande

Purifiant: concombre et yogourt nature

Peau sèche: avocat bien mûr et huile d'olive

Rafraîchissant: le jus de 1/2 citron et 1 c. à soupe de fromage blanc

Tout type de peaux: fraise et crème fraîche

Astuce: si le masque est trop coulant, mettez un linge sur le visage pour le stabiliser.

Pour aller plus loin

Sylvie Fortin, Cosmétiques non toxiques, Montréal, Éditions La Presse, 2011, 240 p., 29,95 $.

Bien qu'il ne cible pas précisément la cosmétique «de cuisine», ce livre publié au Québec a été fortement recommandé par nos deux herboristes. Vous y trouverez la description de bon nombre d'ingrédients du garde-manger ainsi que la liste de leurs propriétés.





PHOTO MARCO CAMPANOZZI, LA PRESSE