Pour quelques-uns, la ligne de Claudette Floyd est synonyme d'élégantes robes qui habillent les jeunes filles à leur bal de finissants ou les mariées au jour J. Rush Couture, c'est tout ça, mais aussi beaucoup plus. Rencontre avec une designer qui a su établir sa marque et se garder à flot dans le monde houleux de la mode.

C'est le premier vrai jour du printemps et Claudette Floyd est en retard, prise dans le trafic de tous ceux qui ont décidé de sortir leur bolide en même temps. Elle arrive à bout de souffle, se confondant en excuses dans son français imparfait mais charmant, tout simplement impeccable dans sa jupe taille haute noire et son chemisier blanc qui épousent sa silhouette longiligne.

«J'ai fait cette jupe lors de mon premier défilé!», souligne-t-elle. Pourtant, sa longueur, juste sous le genou, est tout à fait dans l'air du temps. Comme quoi la designer a l'oeil pour les lignes et coupes qui ne passent pas de mode, tout en revendiquant un côté trendy. Une des caractéristiques de sa marque Rush Couture, lancée il y a déjà une quinzaine d'années.

Que faut-il pour durer aussi longtemps dans cette industrie difficile, où l'arrivée des grandes multinationales, puis l'émergence du fast fashion sont une concurrence féroce?

«Il faut être passionné, presque dépendant! Parce que c'est très difficile, c'est un défi chaque année. Il y a toujours de nouvelles entreprises qui naissent et vendent des pièces faites ailleurs de moins en moins cher», constate-t-elle, appuyée sur la table de coupe de son minuscule atelier, situé à l'arrière de sa boutique sise boulevard Saint-Laurent.

De la passion, certes. Mais il faut aussi le sens des affaires. Faute de quoi, impossible de survivre. Celle qui a lancé son entreprise et a commencé à créer ses collections dans un loft qu'elle avait loué dans le Vieux-Montréal alors qu'elle étudiait encore au Collège LaSalle en sait quelque chose.

«À cette époque, je pensais que j'étais superwoman! Aujourd'hui encore, parfois... [rires]. Au début, je ne comprenais pas du tout ce qu'était le "branding". Après tant d'années, je commence enfin à saisir de quoi il en retourne!», lance celle dont le nom même d'entreprise, Rush, est inspiré par ce sentiment d'urgence inhérent à la mode.

De la Jamaïque à Montréal

Née en Jamaïque, Claudette Floyd a grandi en regardant sa mère, femme au foyer, coudre de chics robes pour les femmes de son quartier. «Tout le monde dans le voisinage venait voir ma mère lors d'événements spéciaux, pour qu'elle leur fabrique des robes de soirée. Et bien sûr, lorsque c'était à notre tour d'assister à des soirées, c'est nous qui avions les plus belles robes!»

Sa soeur aînée, qui vivait à Montréal, leur envoyait alors des magazines de mode dont sa mère s'inspirait pour ses créations et qu'elle feuilletait, jeune fille. «C'est dans un de ces magazines que j'ai vu Iman qui était habillée - je m'en souviendrai toujours! - dans un ensemble signé Yves Saint Laurent. Je me reconnaissais là-dedans.»

Si ces moments ont planté les graines de ce qu'elle allait devenir, c'est d'abord par nécessité, des années plus tard, après être déménagée à son tour dans la métropole, qu'elle commence à créer des vêtements. «Je n'avais pas d'argent, alors j'ai décidé de faire les miens! Je ne savais pas que j'avais ça en moi jusqu'à ce moment... et je me suis dit que je pourrais en faire un métier», se remémore-t-elle.

Aujourd'hui, les somptueuses robes qu'elle crée sont sa marque de commerce. Que ce soit durant la période achalandée des bals de fin d'année, pour les mariages - la mariée autant que ses précieux invités - et les tapis rouges, Rush Couture est devenu une référence montréalaise en la matière.

«Je touche du bois, car j'ai eu beaucoup de soutien au Québec - environ 90% de ma clientèle est francophone. Le commerce de détail est très difficile, comme toujours, mais je ne peux pas me plaindre. Je dois ma survie à ces clients qui reviennent année après année et je leur rends hommage.»

Deux styles, deux lignes

Mais est-ce qu'être étiquetée à un style si particulier - les robes de soirée, d'occasions spéciales - ne serait pas une arme à double tranchant pour la designer? Car Claudette Floyd aime aussi créer des vêtements structurés, plus edgy, qui tranchent parfois avec l'image romantique associée à ses robes aux lignes fluides et matières vaporeuses.

«Aujourd'hui, il y a presque exclusivement des robes en boutique; avant, j'avais plusieurs sortes de vêtements, mais seulement mes robes se vendaient. J'ai décidé de me concentrer là-dessus, même s'il est vrai que j'ai perdu quelques clients.» En fait, ajoute-t-elle, c'est un peu comme si elle n'avait jamais trouvé une façon d'incorporer ces morceaux à sa ligne, à trouver une balance entre les deux styles.

Un problème qu'elle pense avoir réglé pour de bon en créant la ligne Claudette by Claudette Floyd, dont elle a présenté la première mouture pour l'automne-hiver 2014-2015 à la dernière semaine de mode de Toronto, lors d'un défilé commun avec le designer Helmer, devant une salle comble.

Cette habituée de la Semaine Mode Montréal - c'est lors de la toute première mouture de l'événement que sa ligne a été lancée - déplore d'ailleurs sa disparition. «C'est très triste, particulièrement pour les jeunes designers qui ont besoin d'une plate-forme pour se faire connaître. Que va-t-il advenir d'eux? J'espère que l'événement va revenir sous une forme ou une autre.»