Tous les deux ans, Lyon, haut lieu de la gastronomie française, accueille les Bocuse d'or, les olympiades de la gastronomie classique, où s'affrontent des chefs virtuoses de tous les coins du monde. Cette année, le Québec y était représenté.

Dans les gradins, la foule bigarrée hurle. Un groupe de Danois lance des mini-drapeaux partout, tels des confettis, grâce à une sorte de fusil à air comprimé. Les Norvégiens entonnent leurs slogans. Même les Japonais sont exubérants quand vient le moment de signifier leur présence à leur équipe. Chez les partisans du Canada, tout le monde porte un maillot rouge de hockey sur lequel on a écrit le nom de celui qu'on est venu encourager: «Godbout». Comme dans Laurent Godbout, chef-propriétaire de Chez l'Épicier à Montréal, premier Québécois à être choisi pour représenter le Canada aux Bocuse d'or.

«Le Québec mérite d'être encouragé», lance le chef François Blais, du Bistro B à Québec, venu appuyer son ami, en compagnie de Samuel Sirois, du Manoir Rouville, et d'un autre chef, James Oldberg, de Red Deer, en Alberta.

Avant même le début de la compétition de cuisine pour l'équipe québécoise, la tension est palpable. Douze chefs d'autres pays participants, tous installés dans une cuisine individuelle, devant public, préparent déjà les plats qui seront soumis à la compétition. Au micro, sur la scène, les animateurs commentent ce qui se passe comme si on était à la finale de patinage artistique des Jeux olympiques. «Regarde comment il manie la ficelle, dit l'un d'eux au sujet de l'un des chefs compétiteurs, en train de ligoter un morceau de volaille. On sent la maîtrise du geste.»

On est au jour 1 de la compétition. Le lendemain, ce sera au tour de Godbout - en compagnie de son coach Sébastien Giannini et de son commis Adam Martin - de cuisiner pendant 5 h 35 min, période maximale allouée pour la préparation des deux plats obligatoires: l'un de truite, avec légume imposé - le fenouil -, et l'autre de pintade.

Tous les deux ans, le monde de la restauration très, très haut de gamme se retrouve ainsi à Lyon pour couronner le meilleur créateur technicien, qui sera jugé par des chefs issus de tous les pays participants. Cette année, c'est la Norvège qui a gagné, pour la cinquième fois, alors que les États-Unis sont montés sur le podium pour la première fois, avec l'argent. En troisième place, la Suède, grande habituée du podium, venait confirmer la place prépondérante qu'occupe la Scandinavie dans ce concours depuis plusieurs années.

Le Canada a fini 21e sur 24, un classement qui a déçu l'équipe, qui croyait pouvoir se hisser dans les 10 premiers.

«Ç'a été une expérience extraordinaire, a confié Laurent Godbout en entrevue, deux semaines après la fin de la compétition. Mais il y a eu des déceptions à certains égards, c'est sûr, beaucoup d'embûches.»

Si c'était à refaire, Godbout cuisinerait différemment. Son plat de poisson a été mal reçu, selon lui, à cause d'un manque de communication au sujet des attentes du jury. Il y a eu des problèmes avec le commis, aussi. Ses feuilles de chou pour sa pintade, jetées par erreur, lui ont fait perdre un temps précieux. Toutes sortes de petites choses ont dérapé.

Mais le nerf de la guerre, le coeur de la différence, selon lui, entre le Canada et les couronnés: l'expérience, bien sûr, puisque la France tout comme les Scandinaves gagnent depuis des années, et les leçons des gagnants aident leurs compatriotes à garder le flambeau.

Mais la victoire, la maîtrise, les avancées techniques, les prouesses, ce sont aussi des choses qui nécessitent du temps, de l'équipement, des ressources, bref, qui nécessitent de l'argent.

Le Canada? Le budget total mis de l'avant par la fédération des chefs était de 100 000$. Godbout calcule avoir ajouté 75 000$ de sa poche.

Pourquoi tout cet argent? Parce que la gastronomie rapporte gros.

On rappelle souvent que Copenhague est la ville où se trouve le meilleur restaurant de la liste «50 Best San Pellegrino», le Noma. Mais c'est aussi la ville de Geranium, le restaurant de Rasmus Kofoed, qui est monté trois fois sur le podium à Lyon. D'abord pour le bronze, puis pour l'argent et l'or en 2011.

«Moi, c'est mon restaurant préféré à Copenhague, dit Godbout. Je suis sûr que je ne suis pas le seul à penser ça. Il donne à la ville une reconnaissance internationale.» Avec toutes les retombées économiques du tourisme que cela génère.

Godbout est le premier à applaudir le succès de restaurants montréalais comme Joe Beef ou Pied de cochon, dont le rayonnement dépasse largement nos frontières. Mais, selon lui, cette cuisine du terroir d'une grande richesse, il faut l'appuyer en encourageant aussi la haute gastronomie, celle toute en minutie et en prouesses techniques que l'on célèbre aux Bocuse d'or et qui compte une vaste clientèle de voyageurs internationaux que Montréal devrait pouvoir accueillir avec plus de tables. Pas juste Toqué! ou Europea.

«C'est sûr qu'ici, on n'a pas la clientèle fortunée de New York ou Paris», dit Godbout, qui se prépare à ouvrir un restaurant à Palm Beach. Mais Bilbao n'est pas Londres, Barcelone n'est pas Paris et Copenhague n'est pas Tokyo. Pourtant, ces villes de taille moyenne se sont placées au sommet du palmarès des destinations gastronomiques. 

«Il y a l'argent, résume Godbout, mais il y a aussi la volonté.» Après six mois d'entraînement intensif et une expérience lyonnaise éprouvante, mais dont il est fier, il est bien placé pour en parler.

Bocuse 

Lyon incarne tout de la gastronomie française, de l'andouillette rustique omniprésente dans les restaurants traditionnels, appelés «bouchons», jusqu'aux escalopes de foie gras élégantissimes préparées par les «toqués» qui y pullulent, en commençant par Paul Bocuse, chef mythique de 89 ans dont le restaurant, l'Auberge du Pont de Collonges, est tout juste à l'extérieur de Lyon. Pas étonnant, donc, que ce soit ici qu'aient lieu les «Jeux olympiques» de la grande gastronomie, le Concours mondial de la cuisine généralement appelé «les Bocuse d'or», puisque c'est le nom du trophée remporté par le gagnant.

Laprise 

Le Québec était bien représenté à la compétition des Bocuse d'or avec Laurent Godbout. Mais il était aussi présent grâce au chef Normand Laprise, invité à cuisiner lors d'un grand repas très prestigieux, qui a lieu à chaque Bocuse d'or, donc tous les deux ans. Ce dîner est préparé en l'honneur de Paul Bocuse, mis en place à son école de cuisine, puis servi dans la salle de bal de la mairie de Lyon, où étaient invités cette année 150 grands chefs du monde, comme Pierre Troisgros et ses deux fils Claude et Michel, Pierre Gagnaire, Marc Veyrat, l'Américain Thomas Keller - président de l'équipe américaine aux Bocuse d'or -, Grant Achatz, de l'Alinéa à Chicago, sans oublier le géant Alain Ducasse. Le chef franco-new-yorkais Daniel Boulud était le coordonnateur du festin et avait choisi de s'entourer de chefs des Amériques, dont Laprise, Gaston Acurio, de Lima, Enrique Olvera, de Mexico, sa propre pâtissière Ghaya Oliveira, de New York, et Barbara Lynch, de Boston. Le chef québécois a préparé un plat de homard avec entre autres de l'huile de caméline de la Société-Orignal et du sel au sapin. On a également annoncé à ce moment-là que Normand Laprise est devenu ambassadeur de l'Académie Bocuse dans le monde, ce qui signifie qu'il représentera l'Académie au Canada et qu'il sera aussi l'une des antennes de la grande école de cuisine en Amérique.

SIHRA

Le Salon international de l'hôtellerie, de la restauration et de l'alimentation (SIHRA) est une immense foire commerciale bisannuelle, qui se tient à Lyon et où ont lieu les Bocuse d'or. La foire accueille surtout la grosse industrie alimentaire, de San Pellegrino à Valrhona, en passant par Nespresso, ainsi que des fournisseurs d'équipements très spécialisés. Si vous voulez acheter un bain-marie industriel pour préparer des viandes sous vide, des pulvérisateurs ou des super robots culinaires pour votre restaurant - on ne s'adresse pas aux particuliers, mais bien aux restaurateurs -, tout est là.

Young Chef 2015

C'est le nom d'une nouvelle compétition présentée au public dans le cadre du SIHRA et commanditée par la marque d'eau gazeuse San Pellegrino, aussi principal commanditaire de la liste «50 Best», bien que ce partenariat arrive à échéance en 2016. San Pellegrino poursuivra-t-elle son alliance avec la liste très suivie dans le monde, mais extrêmement critiquée en France, acteur-clé dans l'univers de la gastronomie? Nul ne le sait, mais ce qui est clair, c'est que San Pellegrino se lance dans un autre grand projet: un concours international pour dépister les talents de demain et qui compte comme jury une brochette des meilleurs grands chefs du monde, dont le Français Yannick Alleno, l'Américain Éric Ripert et le Catalan Joan Roca. Le candidat canadien de cette compétition a déjà été choisi: il s'agit de Paul Moran, du CMH-K2 Lodge à Naskup, en Colombie-Britannique.

Sillon et palégrié 

Deux noms de petits restaurants lyonnais à retenir. Deux cuisines contemporaines, épurées, qui combinent savoir-faire français et désir d'innover. Prix raisonnables (une vingtaine d'euros le midi au Sillon, le double le soir, avant le vin, au Palégrié). On est à mille lieues de la cuisine «toquée» des Bocuse, Pierre Orti, Régis Marcon et compagnie. Au Sillon et au Palegrié, on vient se réfugier dans un autre monde, loin des guéridons et des cloches d'argent, mais pas dans un bouchon non plus - les restos traditionnels lyonnais très cochonnaille. À essayer pour compléter le portrait de Lyon, ville gastronomique aux nombreux visages.