Oreilles épaisses rabattues sur leurs petits yeux, groins affilés, peau sombre et ventres rebondis: des dizaines de porcs ibériques, «stars» de la table espagnole, fourragent en grognant entre les herbes vertes d'un champ près de Guijuelo, dans l'ouest de l'Espagne.

L'exquis jambon tiré de ce gros animal élevé en liberté et nourri aux «bellotas», glands de chênes typiques de la péninsule ibérique, peut atteindre des prix mirobolants.

Mais la crise frappe les ventes en Espagne et, pariant sur les exportations, le gouvernement comme les producteurs veulent clarifier les dénominations afin d'éviter les confusions avec la viande de son plus humble cousin, le cochon blanc.

«Bien qu'ils aient le même nom, cela n'a rien à voir», explique Ramon Estevez, responsable du département qualité chez Beher, prestigieux producteur espagnol fondé dans les années 1930 par le grand-père de l'actuel directeur, en contemplant ses bêtes qui pèsent déjà environ 130 kilos à 12 mois.

«Le porc ibérique produit lui-même de l'acide oléique, proche de celui que l'on trouve dans l'huile d'olive: aucun autre animal au monde ne le fait», souligne-t-il, évoquant son «goût plus intense» et son «bouquet plus profond».

Les pâturages des alentours de Guijuelo, au sud de Salamanque, sont, avec l'Andalousie et l'Extrémadure, les grandes régions productrices en Espagne. Élevés en liberté, les porcs de la plus haute qualité y croquent les «bellotas» entre novembre et mars, et sont nourris de céréales le reste de l'année, ce gland étant impossible à conserver hors saison.

Les prix suivent la finesse du goût: souvent plus de 100 euros le kilo et même jusqu'à 4000 euros pour un jambon, affiné pendant plus de sept ans, dans le cas le plus spectaculaire.

Mais avec la crise, les éleveurs ont réduit drastiquement leurs élevages, passant de quatre millions de têtes il y a trois ans à deux millions et demi aujourd'hui.

«Le jambon ibérique pur nourri aux glands est l'un des produits les plus spéciaux du monde, comme le bon caviar ou le bon foie gras», affirme Alejandra Anson, responsable d'Élite Gourmet, une fondation qui appose un label de qualité aux meilleurs produits espagnols.

«C'est quelque chose de très spécial que l'Espagne ne sait pas bien vendre», ajoute-t-elle toutefois.

La multiplication des dénominations d'origine - huit existent aujourd'hui, allant du porc élevé en captivité dont seul un géniteur est de race 100% ibérique à la «star» de la table, qui doit avoir au moins «pris» 45 kilos en se nourrissant de glands dans ses derniers mois de vie - complique la compréhension des consommateurs, certains producteurs profitant de la confusion pour tromper les clients.

«Il est impensable de vouloir pénétrer sur les marchés internationaux avec huit types de jambons différents», lance Fernando Burgaz, directeur général de l'industrie alimentaire au ministère de l'Agriculture, qui projette de simplifier et de réduire, à trois, les appellations.

Déambulant dans ses immenses «bodegas», où sèchent 100.000 jambons au gré de l'air sec de Guijuelo, Arturo Sanchez souligne la «qualité difficilement égalable» du jambon ibérique pur.

Comme Beher, qui destine déjà environ 30% de sa production, de 60.000 jambons par an, à l'étranger, Arturo Sanchez compte sur les exportations pour soutenir la marque familiale qui porte son nom et perpétue le même savoir-faire artisanal depuis 1917.

«Cette crise nous a aidé à nous lancer à l'étranger», explique-t-il près de la salle où sèchent des milliers de chorizos et saucissons parfumés au feu de bois de chêne.

«Il y a quelques années, nos exportations ne représentaient que 1 à 2% de notre activité, aujourd'hui on en est à 10 à 15%», dit-il.

Nuancé face à la proposition du gouvernement, dont il estime qu'elle ne protège pas assez le jambon ibérique de haut de gamme, Arturo Sanchez estime qu'il revient à sa maison «de lutter pour faire valoir notre qualité».

Ramon Estevez aussi émet quelques doutes: «il faut que tout ce qui concerne la race et le mode d'élevage soit bien contrôlé», explique-t-il, en contemplant ses porcs noirs qui devront encore prendre quelques kilos avant d'être sacrifiés, l'année prochaine.