Le chef français Joël Robuchon, le plus «étoilé» au monde avec 25 étoiles au Michelin, juge le guide «très fragile» et constate que trois étoiles ne suffisent pas à remplir un restaurant car les clients ne veulent plus y aller «comme à la messe», dans un entretien avec l'AFP.

«Les trois étoiles Michelin, allez les voir au déjeuner : la plupart sont vides (...) alors que la cuisine est de qualité. Ca veut dire que ça ne correspond plus» à l'époque, estime le chef qui dans ses «Ateliers» installe ses clients autour d'un comptoir, avec vue sur les produits et la cuisine.En outre, avec la crise, «les hommes d'affaires se cachent pour aller dans ces restaurants parce qu'ils ne peuvent pas demander à leurs employés de faire des efforts et arriver, eux, avec des additions pas possibles», ajoute-t-il.

La collection de guides Michelin, bible des gastronomes, compte 26 titres pour 23 pays couverts.

Selon M. Robuchon, «il y a un tournant qui est en train de se passer», dans le decorum comme dans l'assiette. «On n'a pas envie d'aller dans les restaurants comme on va à la messe», dit le chef qui règne sur 16 établissements dans le monde, dont trois triples étoilés. «Les gens veulent manger très bien mais il faut qu'il y ait une ambiance, une certaine convivialité». Dans l'assiette, «on va vers une cuisine beaucoup plus dépouillée, moins sophistiquée».

«Quand on parle de grande cuisine, on pense produits chers et sophistiqués, travaillés», relève-t-il. «Ce n'est pas ça», dit-il, «on n'a pas besoin de manger toujours du caviar». «Quand vous mangez une salade et que vous dites : +dans ma vie, je n'ai jamais mangé une salade comme ça+, pour moi, c'est ça la vraie cuisine», explique-t-il.

Les guides, quant à eux, «n'ont plus l'impact qu'ils ont eu il y a quelques années à part le Michelin, qui est international». Perdre sa troisième étoile reste «une catastrophe pour un restaurateur sur le plan économique», souligne-t-il.

Le Michelin est toujours «le guide le plus important» mais il est «très fragile», estime Joël Robuchon. «Si demain il perd sa notoriété sur le plan international, aux États-Unis et au Japon, le Michelin c'est fini», ajoute-t-il.

Certains chefs, comme le triple étoilé Olivier Roellinger, ont rendu leurs étoiles. «Ils sont libérés en n'ayant plus d'étoile et sont capables de réaliser autre chose», estime M. Robuchon. Mais globalement, rendre ses étoiles «n'est pas à l'ordre du jour. Demain ça pourra l'être en fonction du comportement de Michelin. Aujourd'hui, ça serait une erreur», dit-il.

Le chef se dit «très optimiste» pour la gastronomie française. La relève est assurée par «de jeunes cuisiniers qui commencent à refaire une cuisine moderne», estime-t-il en citant à titre d'exemple le chef du restaurant parisien Ze Kitchen Galerie, William Ledeuil.

Il s'inquiète en revanche pour l'avenir de la cuisine espagnole car, selon lui, les chefs «veulent tous faire du Ferran Adria», cuisinier catalan célèbre pour sa cuisine moléculaire. «Donc ils sont en train de s'écrouler parce que Ferran Adria, il n'y en a qu'un».

Joël Robuchon, 64 ans, qui s'apprête à ouvrir début novembre un restaurant à Taipeh, avant un ou deux autres à Singapour «dans un avenir très, très proche», ne voit pas l'intérêt d'essayer de faire inscrire la gastronomie française sur la liste du patrimoine immatériel de l'UNESCO -- un projet annoncé en février 2008 par le président Nicolas Sarkozy.

«On a l'air de mettre un peu la gastronomie française au musée» et de vouloir «statufier les chefs», dit-il.