Les éclosions de listériose qui hantent les fines bouches et occupent l'espace médiatique depuis deux grosses semaines ont cela de bon qu'elles obligent les consommateurs à se questionner non seulement sur ce qu'ils mangent, mais aussi sur la façon dont leurs aliments sont produits et contrôlés. À leur façon, ils font de la gestion de risques.

La sécurité est un concept fuyant comme du mercure. Vous circulez en automobile en suivant scrupuleusement les limites de vitesse, en dehors des heures de gros trafic, sans parler au téléphone ni pitonner sur la radio et bang! Un accident. La plupart du temps à côté de chez vous.C'est exactement la même chose avec votre assiette. Vous êtes tributaire de la conduite des autres, que ce soit l'agriculteur qui produit la matière première, l'entreprise qui la transforme en produit de masse ou le restaurateur qui apprête tout ça à votre goût. Vos propres comportements sont parfois risqués. Suffit que quelqu'un quelque part tourne les coins rond ou perde le contrôle, et l'infection guette, surtout les personnes en moins bonne condition physique.

Bien sûr, la police est censée veiller au grain. Mais les récents incidents soulèvent plusieurs ques­tions sur notre système d'inspection des aliments. Les organismes de défense des consommateurs ont appelé à un plus grand nombre de tests sur les produits finis, après avoir appris que les charcuteries de Maple Leaf étaient rarement expertisées par les inspecteurs de l'ACIA.

Les partis d'opposition ont plutôt choisi de taper sur les apparences de copinage avec l'entreprise privée, parce que de plus en plus de responsabilités incombent aux transformateurs eux-mêmes. Nous avons naturellement tendance à croire que ceux-ci feront attention dans les zones où les risques d'accident sont plus élevés et les conséquences, plus dramatiques. Mais sur l'autoroute, ils sont sûrement tentés d'appuyer sur l'accélérateur.

Contrôles de routine

Intégrer des contrôles de routine dans la tâche des employés sur la chaîne de fabrication plutôt que payer au fort prix des fonctionnaires surqualifiés n'est toutefois pas complètement fou. Sylvain Quessy, professeur à la faculté de médecine vétérinaire de l'Université de Montréal, nous expliquait récemment que la responsabilisation des entreprises avait fortement amélioré le bilan alimentaire de pays européens, notamment la Suède et la Finlande.

Si les transformateurs sont obligés de tenir des registres serrés et de garder leurs livres ouverts, c'est un peu l'équivalent d'une boîte noire qui révélerait tous leurs faits et gestes. Il est plus aisé de rouler un inspecteur au moment d'une visite tous les huit mois que de trafiquer des registres pendant toute une année. Bien sûr, cela ne veut pas dire qu'il faille éviter les visites impromptues et les tests à l'aveuglette.

Sylvain Charlebois, professeur à l'Université de Regina, croit que les failles du système d'inspection des aliments révèlent à quel point il est débordé. Le nombre et les catégories de produits alimentaires se multiplient et ceux-ci proviennent de partout dans le monde. L'ACIA a des difficultés à suivre la cadence, malgré l'ajout de ressources. «À peine 2 % de tout ce que l'on ingère est inspecté physiquement par des compétences publiques», rappelle-t-il dans une récente correspondance.

Dans le contexte où les gens refusent de payer plus d'impôt et réclament des aliments à des prix ridiculement bas - les Canadiens n'ont jamais consacré une aussi faible part de leur revenu à l'alimentation -, il est toutefois difficile de voir comment améliorer rapidement le système actuel.