C'était il y a un peu plus de 10 ans. Jean Pascal était encore un jeune blanc-bec. Il avait 21 ans, plusieurs titres de champion canadien à son actif, un talent évident, un bagout qu'il n'allait pas perdre, même s'il ne parlait pas encore de lui à la troisième personne.

Surtout, Jean Pascal venait de gagner sa place pour les Jeux olympiques d'Athènes.

L'affaire n'avait pas été simple. Le boxeur avait été pris dans un imbroglio. Il s'était qualifié pour les Jeux, mais la Fédération de boxe et le Comité olympique canadien ne l'avaient pas sélectionné pour faire partie de l'équipe. Il s'agissait d'économiser des sous, selon le principal intéressé. Mais Pascal étant Pascal, il n'avait pas abandonné si vite. Il avait fait appel devant un tribunal sportif et il avait gagné. Il irait aux Jeux.

«Je pense que les chances de médaille sont bonnes», avait déclaré le jeune boxeur juste avant de partir pour la Grèce.

Mais les choses ne s'étaient pas passées comme ça. Au tirage, Jean Pascal avait pigé un adversaire cubain à son premier combat. La poisse! «La boxe à Cuba, avec le baseball, c'est comme le hockey à Montréal. C'est une religion pour eux. Ils produisent beaucoup, beaucoup de talents, raconte Pascal. Regardez aux Panam à Toronto, je pense qu'ils n'ont pas encore perdu un combat.»

Vérification faite, en date de jeudi, en 20 combats aux Jeux panaméricains, les Cubains avaient une fiche parfaite.

À Athènes, il n'y a pas eu de surprise. Le 14 août 2004, le Cubain Yordani Despaigne a défait le Canadien Jean Pascal (Despaigne s'est finalement incliné en quarts contre l'Américain Andre Dirrell).

Pascal était éliminé des Jeux. Cette défaite a marqué la fin de sa carrière amateur. Quelques mois plus tard, il livrait son premier combat chez les pros. Il allait devenir champion du monde et l'un des plus grands boxeurs québécois.

Samedi soir, vers 22 h, heure de Montréal, Jean Pascal va remonter pour la première fois dans l'arène avec un Cubain, à l'hôtel Mandalay Bay de Las Vegas. Et même s'il ne veut pas penser à ça, même s'il n'envisage que la victoire, un Cubain pourrait encore une fois tourner une page de sa carrière. Une défaite contre Yunieski Gonzalez (16-0, 12 K.-O.) pourrait signifier la fin.

Beaucoup à perdre

«C'est un Cubain, alors on s'entend qu'il est bon. Je n'ai jamais vu un mauvais boxeur cubain de ma vie. C'est un boxeur de pression, il avance beaucoup, explique Pascal, joint au téléphone à Las Vegas. Il a aussi les mains lourdes à la Kovalev. Je vais devoir rester alerte tout au long du combat. Parce qu'en boxe, une fraction de seconde peut tout changer.»

Tout cela est vrai. Gonzalez est invaincu. Il a faim. Il est puissant. Mais la vérité, c'est qu'il ne doit pas battre Pascal. À 30 ans, le Cubain n'a que 66 rounds de boxe derrière la cravate. Il n'a jamais affronté un adversaire de renom. Il n'a même pas l'avantage d'une carrière amateur resplendissante. Elle a été bonne, sans plus.

Même si Pascal revient d'une défaite contre Sergei Kovalev, les preneurs aux livres le donnent gagnant. Dans ces circonstances, il a beaucoup à perdre.

Au téléphone, il n'envisage pas la fin. Il admet qu'il a commis des erreurs contre Kovalev le 14 mars dernier. Mais il dit travailler à devenir un meilleur boxeur.

«Ce combat-là, ç'a été une mauvaise soirée pour Jean Pascal. Oui, ce soir-là, Kovalev a été meilleur que moi, mais je sais que je suis dans l'ensemble un meilleur boxeur que lui, dit-il. J'ai fait beaucoup de petites erreurs, des détails techniques qui ont fait la différence. Ce sont ces détails-là que je cherche à améliorer pour devenir un boxeur plus complet.»

Le combat de ce soir a été raillé par certains amateurs qui y voient un duel inégal. Peut-être. Ce qui est certain, c'est que ses conséquences pourraient être importantes. Jean Pascal (29-3-1, 17 K.-O.) est-il un boxeur sur le déclin, ou un boxeur capable de cerner ses erreurs et de s'améliorer pour rebondir? La réponse pourrait venir ce soir, si bien sûr Gonzalez est un adversaire à la hauteur qui n'a pas de cubain que l'aura. Pascal, lui, a déjà sa réponse.

«Présentement, je suis un vétéran au sommet de mon art. J'ai 32 ans, je n'ai jamais été aussi fort physiquement, aussi mature mentalement», assure l'ancien champion du monde.

«Je connais mon travail. J'ai boxé contre les plus grands. J'ai boxé contre de durs cogneurs comme Carl Froch; contre des meurtriers comme Sergei Kovalev; contre des légendes vivantes comme Bernard Hopkins; contre despound for pound comme Chad Dawson, énumère Jean Pascal. Je ne suis pas encore fini. Il me reste beaucoup de millage avant la fin de ma carrière.»

Le but de ce combat est de mettre la table pour une revanche contre Kovalev.