Pendant des mois, les autorités olympiques canadiennes et Marcel Aubut se sont activés dans les coulisses pour faire libérer l'athlète olympique québécoise Marlène Harnois. Mais ce qui devait être une formalité, un geste de «bonne volonté» digne de l'esprit olympique, s'est finalement conclu par un camouflet de la France.

Selon ce qu'a appris La Presse, les responsables de l'olympisme français refusent de signer une entente qui permettrait à Harnois de porter les couleurs canadiennes en taekwondo. Leur rebuffade surprend et déçoit le Comité olympique canadien (COC), qui y voit une décision contraire à l'esprit olympique.

«On est très déçus de la décision prise par la Fédération de taekwondo française. Ce n'était pas la réponse que l'on voulait ni celle que l'on pensait avoir», a expliqué Caroline Assalian, chef du sport au COC. «Écoutez, on n'a jamais vu un cas pareil, a-t-elle ajouté. C'est tellement rare qu'un autre pays dise non à un athlète. C'est très, très rare.»

«La priorité, c'est qu'un athlète puisse faire son métier, puisse faire des compétitions, note Mme Assalian. Nous, on est très déçus. Surtout que c'est la France, ce sont nos cousins.»

Devant le refus des Français, Marlène Harnois a décidé de prendre sa retraite sportive. L'athlète franco-québécoise dénonce une décision «indigne et honteuse» du Comité olympique français (CNOSF).

«C'est une grande déception. Mais quand je regarde en arrière, je me dis que je suis médaillée olympique, que j'ai eu une belle carrière, a noté Harnois lors d'un entretien téléphonique depuis la Chine. Maintenant, j'ai envie de m'impliquer dans le sport et l'olympisme. Je ne veux plus jamais qu'un autre athlète vive ce que j'ai vécu.»

Un divorce houleux

Comment une athlète de 28 ans, favorite pour monter sur le podium à Rio en 2016, se retrouve-t-elle acculée à la retraite? Harnois est une Montréalaise qui s'est expatriée en France à l'âge de 19 ans. Elle avait été invitée par une entraîneuse de l'équipe nationale française, Myriam Baverel. Elle a été séduite par les infrastructures sportives du pays. Puisqu'elle estimait que sa carrière n'allait nulle part au Canada, elle a décidé d'obtenir la citoyenneté française et de combattre pour la France.

Le pari a été heureux, puisque Harnois a remporté une médaille de bronze aux Jeux de Londres. Mais les relations avec Myriam Baverel se sont dégradées. Après une prise de bec à l'entraînement, Harnois a été exclue de l'équipe de France. Les deux parties se sont accusées par médias interposés.

La réconciliation est devenue impossible et Harnois a décidé de rentrer au Québec au printemps 2013. Selon l'entourage de l'athlète, ce divorce houleux avec la Fédération française de taekwondo expliquerait l'attitude d'intransigeance qu'elle a aujourd'hui à son égard.

Selon la Charte olympique, un athlète qui change de pays doit attendre trois ans avant de participer à de grandes compétitions. Sans ces compétitions, il est impossible de se qualifier pour les Jeux.

Cette règle sert à prévenir des cas où un pays chercherait à acheter un athlète pour augmenter ses chances de médailles. Mais dans plusieurs cas comme celui de Harnois, il n'est pas question d'argent. Il existe donc une manière de «libérer» un athlète, si les comités olympiques des deux pays s'entendent.

De longues négociations

Dès le printemps 2013, le COC a donc entamé les démarches avec son vis-à-vis français. Selon nos informations, ce dossier épineux a été mené par le président du COC lui-même. Marcel Aubut occupe une position privilégiée, puisqu'il est membre de la Commission des relations internationales du Comité international olympique (CIO). Il est aussi vice-président du comité exécutif de l'Association francophone des comités nationaux olympiques.

Dans la «diplomatie olympique», Aubut était donc le mieux placé pour faire aboutir le dossier. Les enjeux n'étaient pas minces. D'abord sportifs, car lorsque Marlène Harnois est arrivée au Canada, elle était classée au premier rang mondial dans sa catégorie de poids et représentait un réel espoir de médaille à Rio. Ensuite humains, car sans une libération du CNOSF, une athlète se retrouverait privée de Jeux à Rio, puisqu'elle ne serait pas en mesure de participer aux compétitions nécessaires pour se qualifier pour le Canada.

«Au début, on m'a dit que ce serait assez facile, a expliqué Harnois. Mais j'ai vite vu que les choses traînaient en longueur.»

Après des mois de tractations, Marcel Aubut a envoyé le 17 novembre dernier une lettre à la Fédération française de taekwondo. La proposition canadienne représentait une offre finale. Elle prévoyait en contrepartie de la libération le silence de Marlène Harnois, « qui s'engagera à ne faire aucun commentaire négatif à propos de la Fédération française de taekwondo ».

Les Français ont refusé de signer.

«La date butoir du 23 novembre représentait vraiment la limite à partir de laquelle je ne pouvais plus avoir le temps suffisant de me qualifier pour Rio, a indiqué Harnois. La réalité, c'est que la France refuse de me libérer, refuse de négocier. Je ne pourrai pas me qualifier pour Rio avec le Canada.»

Silence des Français

Pourquoi les autorités françaises refusent-elles à une athlète le droit de pratiquer son sport? Après une demande d'entrevue, le Comité olympique français a dirigé La Presse vers la Fédération française de taekwondo. Son président, Roger Piarulli, a confirmé ne pas vouloir libérer Harnois. Dans un courriel subséquent, La Presse a demandé à M. Piarulli d'expliquer pourquoi la fédération faisait ce choix. Ce courriel est resté sans réponse.

Du côté du COC, on espère encore un revirement de situation. «On attend peut-être un miracle, lâche Caroline Assalian, du COC. Si demain ils disent: "on a changé d'avis et la chose la plus importante est qu'une athlète puisse faire son sport..." S'ils réalisent que c'est la chose la plus importante, que c'est dans l'esprit du mouvement olympique, peut-être que s'ils changent d'avis rapidement, Marlène pourra s'aligner avec le Canada. On a de l'espoir.»

Marlène Harnois, elle, est prête à tourner la page. Sa famille et elle ont investi des milliers de dollars pour qu'elle continue à s'entraîner dans l'espoir d'un règlement. Celui-ci n'est finalement jamais venu.

La Montréalaise rêve maintenant d'oeuvrer dans l'humanitaire. Non, elle n'était pas prête à arrêter le sport. Mais la décision des autorités françaises la pousse aujourd'hui à le faire. Ce qui la peine le plus, c'est peut-être que sa retraite sportive n'ait pas été décidée sur le tatami, mais plutôt dans un bureau en France.