Depuis quelques mois, les cas de dopage se multiplient en boxe. Erik Morales, Antonio Tarver, Andre Berto... Tous champions ou anciens champions du monde. Tous pris pour dopage. La boxe semble aujourd'hui infestée par les drogues de performance. Pendant ce temps au Québec, la Régie n'attrape personne. Comment enrayer ce fléau?

«Tous les athlètes qui se dopent mettent leur vie en danger. Mais dans les sports de combat, ceux qui se dopent mettent la vie de leur adversaire en danger. Et ça, c'est grave.»

Jean Pascal a eu cette réflexion cette semaine lors d'un entretien téléphonique avec La Presse. Mais ces mots, il les répète depuis des années. Le Montréalais est aujourd'hui l'une des voix les plus fortes de la boxe lorsque vient le temps de dénoncer le dopage.

Lors d'une conférence de presse avant son dernier combat contre Bernard Hopkins, il s'était vêtu d'un t-shirt avec l'inscription «Es-tu prêt à te soumettre au test?». La manoeuvre en avait fait rigoler certains. Jean Pascal suspectait-il vraiment le vieux routier de dopage, ou n'était-ce qu'une tentative de plus pour déconcentrer Hopkins?

Après tout, la boxe n'est pas le cyclisme ou l'athlétisme. Très peu de boxeurs sont pris et le sport est propre. C'était le discours il y a encore quelques mois. Mais depuis qu'une série de boxeurs de renom se sont fait pincer pour dopage, le ton a radicalement changé. Et les propos de Jean Pascal ne font plus rigoler personne.

Ça a commencé avec l'Américain Lamont Peterson, celui-là même qui avait surpris le monde de la boxe en l'emportant contre Amir Khan en décembre 2011. Un combat revanche était prévu en mai dernier, mais le boxeur a subi un contrôle positif aux stéroïdes anabolisants. La revanche a été annulée. Andre Berto a été le suivant, au mois de mai toujours, puis Antonio Tarver un mois plus tard et Erik Morales en octobre. Le Polonais Mariusz Wach a subi le dernier contrôle positif en date (voir l'encadré).

«Des gars dopés, en boxe comme dans d'autres sports, il y en a beaucoup, croit le juge Guy Jutras qui, à 81 ans, suit la boxe depuis plus d'un demi-siècle. Des tests plus rigoureux devaient être institués immédiatement parce qu'on est en train de créer des zombies comme dans d'autres sports, comme au football par exemple.»

Les récents cas démontrent que le dopage sportif a cours en boxe comme dans d'autres sports. Mais Jean Pascal a raison de souligner que ce dopage n'est pas comme les autres: le boxeur propre ne risque pas seulement d'être déclassé par l'athlète qui triche, mais en plus puni et peut-être même gravement blessé.

«Contrairement à d'autres sports comme le ski de fond par exemple, on met directement la vie de l'adversaire en danger en se dopant. Alors, c'est deux fois plus dangereux et les boxeurs devraient être deux fois plus testés», note Pascal, qui effectue un retour sur le ring vendredi prochain au Centre Bell.

Au Québec, aucun dopé!

Mais dans les faits, les boxeurs sont loin d'être doublement surveillés. Si la boxe est restée si longtemps imperméable aux scandales de dopage, c'est surtout parce que ses mécanismes de contrôle sont défaillants, à des années-lumière de ce qui se fait par exemple aux Jeux olympiques ou en cyclisme.

La responsabilité du dépistage incombe en boxe aux commissions athlétiques. Mais celles-ci ont des programmes antidopage qui manquent cruellement de dents. Prenez celui de la commission athlétique québécoise, mieux connue sous le nom de Régie des alcools, des courses et des jeux (RACJ).

La politique antidopage de la Régie tient en quelques petits paragraphes: l'organisme se livre à des tests d'urine dans les heures entourant un combat (jusqu'à trois heures avant et jusqu'à six heures après). Il n'y a pas de tests sanguins, pas de tests inopinés.

Seuls les boxeurs engagés dans un combat de championnat sont systématiquement soumis aux tests. La Régie n'a pas de données sur le nombre de contrôles qu'elle a menés au fil des ans, mais plusieurs boxeurs contactés disent avoir très rarement subi un test antidopage au Québec dans leur carrière. «Je me suis fait beaucoup plus tester au cours de ma carrière amateur. Une fois passé pro, ç'a été très rare», dit Benoit Gaudet, qui a pris sa retraite cet automne.

Dans ces circonstances, il n'est pas surprenant qu'aucun boxeur n'ait jamais été pris pour dopage au Québec. Zéro, niet. «La Régie a un petit test, mais c'est plus pour la forme qu'autre chose. Ça ne donne rien, croit le promoteur Yvon Michel. Ils n'ont encore pris personne et ne prendront probablement jamais personne.»

Donner des dents

La Régie québécoise n'est pas la seule en cause et les commissions athlétiques américaines n'ont pas davantage de succès. Les récents cas de dopage sont le résultat de tests menés par des organismes indépendants: Peterson et Berto ont été pris par la VADA (Voluntary Anti-Doping Association) et Morales par l'USADA (l'agence antidopage américaine).

Mais la VADA et l'USADA avaient été engagées par des promoteurs qui estiment que les commissions athlétiques ne font pas leur travail en matière de dopage. Cette relation malsaine entre l'antidopage et les promoteurs n'est pas viable. Comment peut-on croire que ces agences payées par les promoteurs vont pouvoir faire leur travail?

Après les deux cas découverts par la VADA, Golden Boy Promotions n'a plus voulu retenir ses services. Elle a même menacé de poursuivre l'agence et s'est tournée vers l'USADA pour s'occuper du deuxième combat entre Erik Morales et Danny Garcia. Cette fois-ci, lorsque Morales a échoué au test, Golden Boy a refusé d'annuler le combat.

«Il faut un système indépendant, croit Yvon Michel. Actuellement, c'est entre les mains des promoteurs et on sait que ceux-ci ont eu tendance, aux États-Unis, à ne pas dévoiler des résultats positifs pour ne pas mettre en péril leurs galas.»

Les intervenants québécois de la boxe s'entendent pour dire que les commissions athlétiques américaines doivent absolument doter la boxe d'un système cohérent d'antidopage. La Régie, selon eux, ne peut pas se permettre de prendre l'initiative. «Si on arrive au Québec et qu'on instaure ça sans que les autres commissions suivent, les gros combats ne viendront plus ici», note Guy Jutras.

Ce serait à la puissante Association américaine des commissions de boxe (ABC) de montrer la voie: si le Nevada, la Californie et New York prennent les devants, le reste du monde suivra.

Sans cela, les dopés pourront continuer de monter sur le ring sans craindre de se faire prendre. Et les boxeurs propres seront les premières victimes du statu quo. «Ça doit commencer avec les commissions, a expliqué cette semaine le promoteur Gary Shaw au Los Angeles Times. Ils doivent prendre tout ça au sérieux. Barry Bonds frappait sur des balles. Nos gars frappent sur des cerveaux.»

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Nombre de boxeurs qui ont été pris pour dopage au Québec, selon la Régie des alcools, des courses et des jeux.

Le dopage dans la boxe en 2012

Mai

Le boxeur américain Lamont Peterson subit un contrôle positif aux stéroïdes anabolisants. Son combat revanche contre le Britannique Amir Khan est annulé.

Mai

L'ancien champion du monde mi-moyen Andre Berto subit un contrôle positif à une forme synthétique de testostérone. Son combat du 23 juin contre Victor Ortiz est annulé.

Juin

Un échantillon d'urine appartenant à Antonio Tarver, ancien champion du monde et analyste sur les ondes de Showtime, contient des traces de stéroïdes anabolisants. Puisque le contrôle a eu lieu après son combat nul du 2 juin contre Lateef Kayode, on décide rétroactivement d'annuler le résultat.

Octobre

Erik Morales subit un contrôle positif au Clentuberol, une substance souvent utilisée pour la perte de poids. La nouvelle tarde à être confirmée et son combat contre Danny Garcia a finalement lieu le 20 octobre à Brooklyn. Le contrôle était mené par une agence embauchée par le promoteur.

Novembre

Selon le quotidien allemand Bild, le boxeur polonais Mariusz Wach a subi un contrôle positif aux stéroïdes lors de son combat de championnat du monde contre Vladimir Klitschko, le 10 novembre.