L’étiquette de premier choix au total, même au hockey junior, peut être lourde à porter. Elle signifie essentiellement que le joueur est vu, à 16 ans, comme le meilleur de son année dans un territoire donné. Mais ce ne sont pas tous les jeunes de cet âge qui sont aptes à gérer ce statut.

Ça adonne bien. Tomas Lavoie, repêché au premier rang dans la LHJMQ en 2022, semblait plutôt apte.

« Je ne me suis pas mis de pression, affirme le grand défenseur, rencontré dans les studios de RDS, mardi soir. C’est sûr que les gens ont beaucoup d’attentes avec un premier choix. Mais un défenseur, c’est plus long à développer. Cette année, j’apprends encore avec Louis [Robitaille]. Je ne réponds peut-être pas aux attentes des fans, mais je fais mon possible. »

Mais les attentes sont bien réelles, confirme Robitaille, son entraîneur-chef chez les Eagles du Cap-Breton « Quand tu es choisi premier au total, les gens s’attendent à un gars offensif comme Cale Makar, qui frappe comme Jacob Trouba, avec le tir d’Al Iafrate ! énumère l’homme de hockey au bout du fil.

« Donc on a essayé de rapetisser ça avec lui. Brandon Carlo est un exemple pour lui. Et David Savard en est un autre », poursuit Robitaille.

Lavoie est admissible au repêchage 2024 de la LNH, mais avec 19 points en 51 matchs cette saison, il n’a pas les statistiques d’un futur Makar. La Centrale de recrutement de la LNH, dans son classement de mi-saison, l’a coté 50espoir nord-américain. Un rang qui, pour l’heure, fait de lui un joueur susceptible de sortir quelque part entre le 2e et le 5tour. Quoiqu’avec sa carrure (6 pi 3 po, 220 lb), il pourrait bien tomber dans l’œil d’une équipe.

Son cas est un rappel supplémentaire que les premiers choix dans le junior ne naissent pas égaux. Alexis Lafrenière a certes été réclamé au 1er rang dans la LHJMQ et dans la LNH, il reste que la plupart des joueurs finiront par être sélectionnés plus tard dans la grande ligue. Joshua Roy (1er en 2019) en est un bon exemple ; il a patienté jusqu’au 150rang avant d’entendre son nom en 2021.

Mais ces enjeux de rang de sélection n’émeuvent guère Lavoie.

« C’est important de bien jouer, mais si j’ai un mauvais match, les gens ne vont pas se fier seulement là-dessus. Ils vont regarder l’ensemble de ma saison. »

Et le repêchage est dans quatre mois. Pourquoi je m’en ferais ? Ce n’est pas demain !

Tomas Lavoie

« De toute façon, ça ne dérange pas, où tu es repêché. L’important, c’est ce que tu fais au camp. Si tu es un 1er choix et que tu arrives avec la grosse tête, le choix de 4tour peut passer devant toi s’il est prêt mentalement. »

Dure adaptation

C’est une image de jeune homme mûr et en contrôle de ses émotions que projette Tomas Lavoie. Avec une telle personnalité et la carrure d’un type qui pourrait nous casser en deux, il ne fait pas ses 17 ans.

Ce qui ne veut pas dire que sa carrière a été un long fleuve tranquille. Il a vécu tout un choc à l’été 2022 lorsqu’il est parti en Nouvelle-Écosse pour la nouvelle étape de sa vie.

« Un p’tit gars de Repentigny qui quitte le milieu familial à 16 ans, c’est dur, surtout les deux premiers mois, convient-il. Je n’étais pas bilingue. Mais j’ai une super bonne famille de pension, la mère parle un peu français et c’est devenu ma deuxième maison. »

PHOTO YAN DOUBLET, ARCHIVES LE SOLEIL

Tomas Lavoie dans l’uniforme des Eagles du Cap-Breton

Sur la glace aussi, ce fut le choc. Jouant pour une jeune équipe minée par les blessures, il a été propulsé au sein du premier duo. À 16 ans, il affrontait les meilleurs éléments adverses, souvent trois ans plus vieux que lui. Dans ces circonstances, il a terminé la saison avec un différentiel de -39, le pire de la LHJMQ. Sachant que les buts de l’adversaire marqués contre lui sont une des rares statistiques qu’il valorise, le contexte était important.

« On commence à Halifax, je me ramasse à -3. Puis, un autre -3 à Bathurst, je jouais contre [Riley] Kidney. Tu es nouveau dans la ligue, tu ne sais pas à quoi t’attendre et tu es lancé dans le feu de l’action. À Noël, j’étais déjà à [-23]. Après les matchs, je regardais les stats. Que veux-tu que je fasse avec ça ? Je prenais la feuille, je la jetais et je pensais au prochain match. »

Cette année, c’est beaucoup mieux et j’ai appris.

Tomas Lavoie

Le voici donc à -8, un chiffre qui reflète à la fois sa progression et celle de son équipe, qui est déjà à une victoire d’égaler sa récolte de 30 de la saison dernière.

L’autre statistique que Lavoie valorise : les tirs bloqués. Celle-là n’est pas compilée officiellement dans la LHJMQ, mais c’est néanmoins un aspect du jeu qu’il valorise. C’est aussi la spécialité du susmentionné David Savard, et ce n’est donc pas un hasard si Robitaille, mais aussi un recruteur consulté pour cet article, ont évoqué le numéro 58 du Canadien en guise de comparaison de style de jeu.

On demande à Lavoie si une des nombreuses séquences de Savard qui se transforme en bouclier humain l’a marqué.

« La fois où il s’était blessé à un bras, répond-il spontanément. En plus, il avait perdu une lame d’un patin et il se mettait devant la rondelle quand même. Ce n’est pas chic, bloquer des tirs, ce n’est pas comme faire un but et deux aides. Mais il le faisait pour l’équipe, pas pour lui. »

Gignac, l’inspiration

PHOTO DAVID KIROUAC, ARCHIVES USA TODAY SPORTS

Brandon Gignac

Tomas Lavoie et quatre autres espoirs de la LHJMQ en vue du prochain repêchage (Alexis Bernier, Raoul Boilard, Spencer Gill et Maxim Massé) sont en tournée médiatique cette semaine. Mardi, ils ont participé à des émissions de RDS et ont été interviewés par le collègue Mario Langlois du 98,5 FM et par La Presse. Ils passeront leur mercredi au Centre Bell, où ils assisteront à l’entraînement matinal du Canadien, au match, et auront droit à une rencontre avec Martin St-Louis et, forcément, avec quelques joueurs. Qui Lavoie a-t-il le plus hâte de rencontrer ? « Brandon Gignac », répond-il du tac au tac. Pas la première réponse attendue, mais ça en dit long sur le respect qu’inspire celui qui n’a jamais arrêté d’y croire. « Il vient du même coin que moi, à Repentigny. Je connais son frère William, qui travaille avec les Pionniers de Lanaudière. Brandon est une inspiration. Toute la ville est fière de lui. J’espère être le prochain gars de Repentigny à se rendre dans la LNH. Il n’a jamais lâché et là, il joue en haut. Il mérite tout ce qui lui arrive. »