Le sujet du retour des Nordiques traverse les frontières de la province. Le New York Times a publié la semaine dernière un long article sur le sujet, avec un survol historique de l’attachement des Québécois pour les Nordiques. Le voici.

Lorsque les Nordiques ont quitté le Québec en 1995, leur départ a laissé un mythe empreint de nostalgie semblable à celui des Dodgers de Brooklyn, déménagés à Los Angeles en 1958.

L’épopée des Nordiques dans la LNH, où ils ont joué de 1979 à 1995, a coïncidé avec les deux tentatives infructueuses de la province francophone de se séparer du Canada. L’identité de l’équipe s’est fusionnée à celle de ses partisans : une minorité linguistique luttant pour s’affirmer dans une partie du monde dominée par les anglophones.

Les Nordiques affichaient leur message politique, avec leur uniforme piqué des fleurs de lys du drapeau québécois. En outre, ils chantaient l’hymne national du Canada en français seulement.

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Les Nordiques affichaient leur message politique, avec leur uniforme piqué des fleurs de lys du drapeau québécois, jusqu’à leur dernier match dans la LNH, au Colisée de Québec, contre les Rangers de New York le 14 mai 1995.

Leur départ « a laissé un trou à Québec et dans la politique régionale du Québec, tout comme dans l’identité francophone », observe Jean-François Lisée, qui a dirigé le Parti québécois de 2016 à 2018 et qui est aujourd’hui chroniqueur au journal Le Devoir.

Depuis que les Nordiques, à court d’argent, sont partis à Denver, des générations de politiciens québécois ont cherché à les faire revenir, allant jusqu’à construire un aréna de 370 millions de dollars, alors même que les changements économiques rendaient ce retour de plus en plus improbable.

Les gens s’identifient à un concept national et à une équipe de hockey – ou au souvenir d’une équipe de hockey – et des politiciens ont cherché à exploiter ce sentiment nationaliste à des fins politiques. C’est essentiellement pour ça qu’ils continuent à réclamer le retour des Nordiques.

Martin Pâquet, historien du Québec à l’Université Laval

Dernier exemple en date, le gouvernement du premier ministre François Legault, massivement réélu en 2022, mais dont la cote d’approbation a chuté en 2023 après une série de faux pas, notamment l’approbation d’une augmentation de salaire de 30 % pour les élus.

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Depuis que les Nordiques, à court d’argent, sont partis à Denver, des générations de politiciens québécois ont cherché à ramener à Québec une équipe de la LNH, allant jusqu’à construire le Centre Vidéotron au coût de 370 millions de dollars.

En novembre, le gouvernement a annoncé en grande pompe qu’il paierait entre 5 et 7 millions de dollars pour que les Kings de Los Angeles jouent deux matchs préparatoires à Québec en octobre 2024, dans le cadre d’une stratégie visant à maintenir la pression sur la LNH pour que la ville retrouve une équipe.

Dans le passé, cette annonce aurait peut-être procuré à la CAQ au moins une petite remontée dans les sondages. Cette fois, elle lui a explosé au visage. Taraudée sur toutes les tribunes, la décision a encore plombé la cote de M. Legault, contribuant à faire de lui le plus impopulaire des 10 premiers ministres provinciaux du Canada, selon un sondage Angus Reid.

Le moment était peut-être mal choisi : cette annonce a été faite alors que des centaines de milliers d’enseignants et de travailleurs de la santé s’apprêtaient à déclencher la grève pour obtenir de meilleurs salaires.

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Une enfant portant le chandail des Nordiques lors d’un match des Remparts de Québec, le 28 décembre 2023

Ou était-ce le coût élevé de ce pari improbable ? Le ministre des Finances, Eric Girard, surnommé « le ministre des Nordiques », a eu la franchise – sinon l’imprudence – de reconnaître que les chances d’un retour de l’équipe étaient d’à peine 10 %.

Peut-être était-ce le refroidissement de la ferveur nationaliste chez les Québécois francophones, en particulier les jeunes. Ou était-ce simplement l’œuvre du temps ?

« Si un couple est séparé parce qu’un des conjoints est parti il y a 25 ans, il est vraiment temps de passer à autre chose », a déclaré M. Pâquet.

Bien sûr, le Québec a encore une équipe de la LNH ; pendant des décennies, le Canadien de Montréal a été une des concessions les plus célèbres de la ligue.

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Un match des séries éliminatoires entre les Nordiques et le Canadien, le 28 avril 1993

Mais pour beaucoup de Québécois, être partisan du Canadien n’a jamais été une option : il n’a jamais été assez « canadien-français ».

Le Canadien joue à Montréal, métropole multiculturelle, diversifiée et bilingue qui est la rivale historique de Québec, majoritairement francophone. Hors de la province, cependant, le Canadien était célèbre pour ses vedettes canadiennes-françaises, comme Guy Lafleur.

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Des souvenirs des Nordiques de Québec appartenant à François Gariépy, animateur radio à Québec. Depuis que les Nordiques ont quitté la ville en 1995, des élus cherchent à ramener une équipe de la LNH à Québec.

Alors que le mouvement indépendantiste du Québec émergeait dans les années 1960, l’espoir d’une équipe de la LNH à Québec – appelée à devenir la capitale d’un nouveau pays, espérait-on – se concrétisait aussi. La ville a obtenu son équipe en 1979, après que les Nordiques et d’autres équipes de l’Association mondiale de hockey ont été absorbés par la LNH.

Après que les Québécois ont voté contre l’indépendance en 1980, lors du premier référendum, certains ont canalisé leurs sentiments nationalistes frustrés en soutenant farouchement les Nordiques. Les matchs Canadien-Nordiques ont pris des proportions mythiques, symbolisant des batailles plus importantes.

« Nous avons appris très jeunes à détester les Canadiens », explique Jocelyn Simard, 65 ans, un Québécois francophone qui a vécu toute sa vie à Québec et qui a grandi en tant que partisan inconditionnel des Blackhawks de Chicago.

À l’arrivée des Nordiques, M. Simard a senti qu’il avait trouvé l’équipe qu’il attendait depuis toujours. Alors que l’hymne canadien était chanté en français et en anglais avant les matchs ailleurs, seul le français était entendu dans l’aréna des Nordiques. Lafleur allait disputer les deux dernières saisons de sa longue carrière avec les Nordiques. « En fin de compte, beaucoup, beaucoup de Canadiens français s’identifiaient plus aux Nordiques qu’aux Canadiens de Montréal », a déclaré M. Simard, ajoutant ne pas avoir perdu l’espoir d’un retour des Nordiques.

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Guy Lafleur a disputé les deux dernières saisons de sa longue carrière avec les Nordiques.

M. Simard était interviewé durant un match de l’équipe de la ligue junior du Québec, les Remparts, au Centre Vidéotron – le coûteux aréna que les dirigeants provinciaux et municipaux ont construit en 2015 avec des fonds publics pour montrer à la LNH à quel point ils étaient déterminés à obtenir une équipe.

Mais si les partisans de la génération de M. Simard ont tendance à partager ses sentiments pour les Nordiques, l’importance de l’équipe semblait ne pas trouver d’écho chez les spectateurs plus jeunes présents à l’aréna, dont beaucoup sont nés après le départ de l’équipe.

« Moi, je suis un fan des Canadiens de Montréal, alors que mon père a encore les Nordiques en tête », a déclaré Mathis Drolet, 17 ans.

Son ami, Justin Tremblay, 17 ans, a déclaré qu’il savait que les Nordiques étaient liés aux aspirations des générations précédentes : « Le Québec voulait devenir un pays et tout ça. » Mais ces espoirs lui semblent lointains : « Ce sont des choses que nous avons apprises à l’école. »

Situés dans le plus petit marché de la ligue – la région métropolitaine de Québec compte aujourd’hui environ 800 000 habitants –, les Nordiques ont connu des difficultés financières pendant des années et sont partis pour Denver en 1995. Dès sa première saison aux États-Unis, l’équipe, rebaptisée l’Avalanche du Colorado, a remporté la Coupe Stanley, accentuant le sentiment de trahison au Québec. Le gouvernement de l’époque, dirigé par le Parti québécois, avait refusé la demande de renflouement du propriétaire des Nordiques, quelques mois à peine avant le second référendum sur l’indépendance.

Le référendum a échoué par une marge infime ; certains politiciens et experts politiques ont fini par attribuer une partie de la défaite au refus du gouvernement de renflouer les Nordiques.

Alors aujourd’hui encore, les dirigeants politiques du Québec s’engagent à ramener les Nordiques, et le moindre développement peut susciter une attention considérable dans les médias locaux.

« À Québec, ces histoires font la une des journaux », explique Frank Pons, professeur de gestion du sport à l’Université Laval.

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À l’extérieur du Centre Vidéotron, une représentation des frères Stastny – trois joueurs slovaques qui ont porté l’uniforme fleurdelysé – rappelle aux partisans l’histoire des Nordiques de Québec.

Mais la plupart des experts de l’industrie du hockey estiment que les chances d’un retour sont quasi nulles.

Au cours des dernières années, la LNH a choisi de se développer sur des marchés plus importants, notamment à Seattle et à Las Vegas, et n’a donné aucun signe d’envisager sérieusement Québec comme candidat à l’expansion ou au déménagement, note M. Pons. Pour la LNH, le Québec et son petit marché télévisuel n’ont tout simplement pas de sens sur le plan commercial.

« C’est une approche économique », dit-il, alors qu’au Québec, « c’est une approche émotionnelle ».

Compte tenu des émotions persistantes à l’égard des Nordiques, peu de gens s’attendent à ce que les politiciens reconnaissent la dure et froide vérité sur les chances de voir les Nordiques revenir. « Combien de votes cela vous apporterait-il ? », a déclaré Lisée, ancien chef du PQ. « Si vous ne voulez pas être au pouvoir, vous pouvez le dire si vous le pensez. La plupart des politiciens diront que ce serait formidable de retrouver les Nordiques. »

Cet article a été publié dans le New York Times.

Lisez l’article original (en anglais ; abonnement requis)