C’était en 2008, à une époque où les femmes gravitant autour de la LNH étaient encore moins nombreuses qu’aujourd’hui. C’était 13 ans avant que Geoff Molson ne formule son souhait de faire une plus grande place à la diversité – lire : autre chose que des monsieurs blancs – dans son organigramme hockey.

Émilie Castonguay était alors joueuse à l’Université de Niagara et elle avait une conversation avec sa grande sœur Valérie.

« Elle m’avait dit qu’un jour, je dirigerais les Canucks de Vancouver. C’était notre dernière conversation », a raconté une Émilie Castonguay émotive, lundi, en visioconférence.

« Quand les Canucks m’ont appelée, ça a donc été beaucoup d’émotions. C’est pourquoi j’ai écouté Jim [Rutherford, président des opérations hockey]. Pour la partie Vancouver, il n’avait pas besoin de me convaincre. C’est un peu l’univers qui m’a amenée ici. »

Peu après ladite conversation, Valérie Castonguay est morte « dans un accident tragique », écrivait l’Université de Montréal, en 2020, dans un portrait d’Émilie Castonguay.

Quatorze ans plus tard, la femme de 38 ans, qu’on a notamment connue comme l’agente d’Alexis Lafrenière, a donc réalisé la prophétie de sa grande sœur. Castonguay a été nommée lundi la nouvelle directrice générale adjointe des Canucks.

Elle devient ainsi la première femme de l’histoire de la franchise à occuper ce poste, et seulement la deuxième dans toute la LNH, après Angela Gorgone, chez les Mighty Ducks d’Anaheim, en 1996.

Ailleurs dans la ligue, d’autres femmes, quoique peu nombreuses, occupent des emplois au sein des différents départements des opérations hockey – à Toronto, Hayley Wickenheiser et Danielle Goyette supervisent le développement des joueurs. Aucune, toutefois, ne touche d’aussi près à la gestion quotidienne d’un club.

Mais tout au long de sa conférence, on a senti que Castonguay ne s’arrêtait pas nécessairement à ce fait d’armes.

Je n’ai jamais trop pensé au genre dans mon parcours, je voyais ça de façon non binaire.

Émilie Castonguay

« Chez les agents, la compétition est féroce. C’est une industrie qui ne pardonne pas. Mais je n’ai jamais vu cette compétition comme étant basée sur le genre. J’ai toujours été très bien traitée, que ce soit par les directeurs généraux, leurs assistants ou les recruteurs. Une fois que tu parles de hockey, t’en viens à oublier que t’es la seule fille dans la place. Le fait que je ne m’y sois pas arrêtée a fait en sorte que je ne me suis jamais sentie intimidée. »

Une pionnière

Castonguay était jusqu’ici à la tête de l’agence Momentum en compagnie d’Olivier Fortier. Elle était d’ailleurs devenue, en 2016, la première femme agente certifiée par l’Association des joueurs de la LNH. Elle représentait également Marie-Philip Poulin, capitaine de l’équipe canadienne de hockey qui s’envolera bientôt pour Pékin.

Dans la LNH, outre Lafrenière, elle représentait Antoine Roussel (Coyotes de l’Arizona), Cédric Paquette (Canadien), Jakob Pelletier (Flames de Calgary), Jordan Spence (Kings de Los Angeles), de même les frères Mathieu et Pierre-Olivier Joseph (Lightning de Tampa Bay et Penguins de Pittsburgh). Selon Puckpedia, la valeur totale des contrats qu’elle gérait était de 24,8 millions de dollars.

« On gérait ça à 50-50 à pas mal tous les niveaux, décrit Olivier Fortier. On a chacun nos forces et faiblesses. Moi, c’était plus le recrutement. Je me suis occupé d’Alexis depuis qu’il est tout jeune. Mais à partir de 17 ans, ça demandait plus de travail, avec les commanditaires, des choses comme ça, donc Émilie a embarqué. On est une agence-boutique et on était très impliqués. »

Même s’il perd sa partenaire de travail, Fortier est évidemment ravi pour elle. « Dès que les Canucks l’ont approchée, elle m’a appelé immédiatement pour m’en parler. On s’est parlé plusieurs fois par jour. »

On a une super relation, elle est un peu comme ma sœur. Je suis très fier de sa décision.

Olivier Fortier

L’expérience de Castonguay comme agente sera utile chez les Canucks. Dans le communiqué, l’équipe précise qu’elle sera impliquée dans la négociation et l’élaboration des contrats des joueurs et qu’elle gérera les enjeux liés à la convention collective. « Sa voix sera entendue dans tous les aspects des opérations hockey [et] elle sera une membre clé de notre équipe de leadership », lit-on.

Pas une candidate, finalement…

Le nom de Castonguay a circulé abondamment au cours des dernières semaines, alors que le processus de sélection d’un directeur général battait son plein chez le Canadien. Selon nos informations, elle n’a toutefois pas été pressentie pour ce poste, informations qu’elle a corroborées en visioconférence.

« Je n’ai pas eu d’entrevue chez le Canadien, a-t-elle affirmé. À la base, le Canadien avait fait une liste de candidats pour un poste de directeur général, avec des gens qu’il croyait qualifiés pour ce poste-là. Si je n’étais pas sur la liste, je n’ai aucune prétention de penser que je devais y être. Je leur souhaite du succès, mais pas autant de succès que Vancouver ! »

Impossible, donc, de savoir pourquoi son nom est revenu si souvent dans les listes de « candidats » que le Tricolore souhaitait interviewer.

Les Canucks, eux, l’ont bel et bien passée en entrevue. Et si, par sa simple présence, Castonguay contribue à diversifier la direction des Canucks, elle ne sent pas non plus qu’elle a été embauchée pour « cocher une case ».

« Avec les Canucks, on n’a jamais même parlé du fait que je suis une femme, pas une seule fois. Quand Jim [Rutherford] m’a appelée, c’était pour me dire : ‟Je pense que tu peux faire ce travail et que tu peux être bonne.” Je connaissais déjà Jim, j’ai senti que ce qu’il recherchait, c’était des gens de qualité avec une vision. Il pensait que j’étais une de ces personnes.

« Si j’avais senti qu’il m’approchait pour cocher une case, que c’était simplement une stratégie de relations publiques, je l’aurais vu venir à des milles. Je n’ai jamais eu cette impression avec les Canucks. »

Castonguay a donc trouvé le rôle qui lui convenait à Vancouver, la ville qu’elle affectionne depuis si longtemps, où elle s’est souvent rendue pour des vacances, et où elle espérait même un jour établir un point de service pour son agence. Il y a de pires façons de commencer sa carrière dans la Ligue nationale.

Avec Simon-Olivier Lorange, La Presse