La Presse vous propose chaque semaine un témoignage qui vise à illustrer ce qui se passe réellement derrière la porte de la chambre à coucher, dans l’intimité, loin, bien loin des statistiques et des normes. Aujourd’hui : Marcel*, 80 ans

Marcel a 80 ans. Il est marié depuis plus de 50 ans, fier de l’être et surtout de ne jamais s’être séparé, même si ce ne sont pas les occasions qui ont manqué. Récit d’un homme aujourd’hui « heureux comme un pape », qui souhaite ici offrir quelques grandes et inattendues leçons de vie.

« J’ai un objectif, nous a-t-il écrit cet été, après avoir longtemps tergiversé : me rendre utile pour les hommes mariés de 60 ans et plus. »

Voilà un noble projet, qui nous a évidemment interpellée. Attablé devant un café anonyme du Plateau, notre homme, d’une vivacité surprenante et assez divertissant, merci, ne cache pas sa joie de se raconter. Sa mémoire est étonnante.

Il commence avec ses premières lectures théoriques à l’adolescence, puis ces mots d’un certain docteur Lionel Gendron, et ce conseil impayable, dont il se souvient encore : « après l’amour, ne fumez pas une cigarette, mais préparez la fois suivante ! », paraphrase-t-il, visiblement marqué. « Préparez la fois suivante ! »

Passons sur sa première copine, son « obsession de ne pas rendre une femme enceinte », pour en venir à ses premières aventures, début vingtaine, en voyage à l’étranger. Non, ce n’est pas fameux, concède Marcel en toute humilité : « je n’avais pas d’expérience, j’étais éjaculateur précoce ! » Mais il ne se laisse pas abattre. De retour au pays : « c’est la Révolution tranquille. Je pars en chasse ! »

Arrive enfin une « bonne chose », comme il dit : une rencontre avec un certain « chauffeur de taxi », qui le met en contact avec un réseau particulier de femmes. « Quinze dollars de l’heure à l’époque ! », se remémore-t-il, en nous racontant sans doute sa toute première fellation. « Le paradis ! » Non, l’illégalité de l’affaire ne le fait pas sourciller. « Ma seule préoccupation, c’étaient mes moyens financiers ! » Il faut dire que l’aventure est une révélation : « Je pouvais être satisfait sexuellement sans être amoureux ! »

Sans transition, Marcel enchaîne avec la rencontre de son « épouse », fin vingtaine, un vrai « coup de foudre », c’est son « idéal physique », et en plus « intellectuel ». À preuve : madame a plus de livres chez elle que lui, s’émerveille-t-il.

« On se fréquente, je suis comblé, ça va bien, je suis amoureux. » Ce n’est pas tout. D’emblée, il lui dit : « Je ne crois pas à l’exclusivité sexuelle. » On le sait, il n’a pas encore beaucoup d’expérience. « Et elle s’en est aperçue ! confirme-t-il en riant. Mais… j’ai des intentions ! »

Je suis un soixante-huitard !

Marcel, 80 ans

Croyez-le ou non, madame lui répond ceci : « Je sais ce qu’est un homme, je l’accepte. » Si c’est réciproque ? « Certainement, hoche Marcel, mais elle n’a jamais sauté la clôture, à mon plus grand regret. »

Rapidement arrivent les enfants, lesquels prennent une grande place, pardon, une « énorme place ». Puis ? « Je retrouve mon chauffeur de taxi », sourit notre Marcel, en sautant ici d’une histoire à l’autre, et nous perdant un peu dans son récit. Une femme l’initie au sexe anal, une seconde le traite un peu en « homme objet », bref, il multiplie enfin les expériences. Si sa femme est au courant ? Plus ou moins. En fait, à cette époque, au début de leur vie de famille, début trentaine, donc, « intellectuellement, c’est merveilleux », mais sexuellement, ça l’est moins, comprend-on. « Mais on consulte », dit-il. Madame lui reproche certaines « maladresse », lui, il raconte divers fantasmes. Elle finit par lui suggérer de rencontrer d’autres femmes, et ils discutent même d’échangisme. « Elle est assez ouverte d’esprit, se félicite-t-il. Mais une certaine nouvelle maladie nous refroidit considérablement… »

Bref : « on ne fait pas l’amour souvent », répète-t-il. S’il est malheureux ? « C’est un grand mot. J’ai beaucoup de compensations intellectuelles. […] C’est peut-être difficile à comprendre […] elle est tellement intelligente ! […] Somme toute, j’ai fait le bon choix ! »

N’empêche que les années passent, mais ses paroles restent. Sans transition toujours, il ajoute :

Je me souviens de sa permissibilité, et j’essaye de la mettre en pratique !

Marcel, 80 ans

Marcel a 50 ans et il trouve ainsi cette « astuce » : les petites annonces dans La Presse puis dans Le Devoir ! « Homme marié cherche femme mariée pour échange épistolaire », publie-t-il. Imaginez un peu : les échanges durent des semaines, parfois des mois, avant d’aboutir, parfois, parfois non, à une rencontre.

En voyage à l’étranger pour le boulot, il fait la même chose dans un magazine local, pour prétendument échanger et apprendre une nouvelle langue. Et visiblement, ça marche. « Je reçois des tas de réponses de femmes ! », sourit-il, pas peu fier. Avec le temps, exit les lettres, bienvenu l’internet, et les rencontres s’accélèrent. Sans crier gare, notre Marcel nous raconte ici tout à coup son tout premier orgasme simultané (« vraiment extraordinaire »), puis ses débuts dans l’univers BDSM, toujours avec des femmes à l’étranger. « On a du fun, se souvient-il, j’ai connu des sensations ! »

S’il en parle à sa femme ? ose-t-on. « Non, dit-il, mais elle devine. » À preuve, à son retour de voyage, elle lui offre carrément des condoms. « Et puis mon épouse s’est aperçue de quelque chose », ajoute-t-il. Elle lui dit : « Tu ne me fais pas l’amour de la même façon ! Tu me fais l’amour mieux ! » Comment, « mieux » ? Sans doute plus lentement, Marcel prend désormais son temps, et le tout dure beaucoup plus longtemps.

N’empêche qu’avec les années, la fameuse « ouverture d’esprit » de sa femme prend fin. « Elle devient moins tolérante. » Marcel poursuit néanmoins, sans grand scrupule : « je vais chercher ce que je n’ai pas à la maison », justifie-t-il. Il connaît même les orgasmes les plus forts de sa vie. Sans surprise, il finit ici par tomber amoureux, et passe aussi à un cheveu de se séparer.

« Mais j’ai pris conscience que me séparer de mon épouse, c’était aussi me séparer de mes enfants. Carrément », déclare-t-il solennellement. Et ça, il ne se le serait pas pardonné. Alors, il lui a tout raconté. « Elle m’a dit non, on reste ensemble, tu ne vas pas le regretter. »

D’ailleurs, oui, leur sexualité a « repris », dit-il. « Mais j’ai compris que ma femme n’était pas sexuelle. C’était une femme de tête, point. »

C’est ainsi que Marcel finit, autour de 70 ans, et après une ou deux énièmes aventures, par s’assagir. « C’est bien beau, les orgasmes, constate-t-il, mais ça ne dure pas ! […] Et puis, j’ai pris conscience qu’un couple, c’est plus que la sexualité ! Il y a autre chose ! […] On discute, on va au théâtre, on voit des spectacles, on lit des livres, on rencontre des gens intéressants, on échange ! »

Mais son conseil aux hommes mariés est ailleurs. Sachant tout cela et conscient de ses besoins : « masturbez-vous le plus possible ! », conclut-il, non sans nous surprendre un brin. C’est ce que Marcel fait désormais.

* Nom fictif, pour préserver son anonymat