« Ici, il y a 250 ans d’histoire », s’enthousiasme Martine Rodrigue, conseillère en gestion de l’information du Centre d’archives d’Hydro-Québec.
Un document qui date de 1744. Des photos de la première expédition vers la baie James. Un discours que Daniel Johnson n’aura jamais prononcé.
Tous ces trésors historiques sont accessibles gratuitement au grand public, au Centre d’archives d’Hydro-Québec, avenue Jeanne-d’Arc, dans l’arrondissement de Mercier–Hochelaga-Maisonneuve. Il y a 4 kilomètres linéaires de documents, de photos et d’objets divers.
Martine Rodrigue indique que son équipe a reçu en 2023 plus de 900 demandes pour consulter les archives, dont le quart était pour des gens ne travaillant pas chez Hydro-Québec. « Des étudiants, historiens, maisons d’édition, journalistes… », énumère-t-elle. « D’anciens employés veulent aussi voir des photos par nostalgie. »
Sa collègue, Vanessa Petit, se souvient du courriel d’un homme qui avait participé à la construction de la première ligne de transport vers la baie James. « On avait retrouvé une photo de sa grue et il était très fier. »
« C’est le patrimoine historique d’Hydro-Québec, mais ce n’est pas une bibliothèque ou un centre de documentation », précise Martine Rodrigue.
Or, tout représentant du public peut prendre rendez-vous pour venir y faire des recherches. C’était une condition quand la Loi sur les archives a été votée en 1983. Comme Hydro-Québec tenait déjà des archives, elle a conclu une entente avec le gouvernement pour qu’elles demeurent à l’interne – et non à BAnQ.
Plusieurs documents n’ont pas tant de « valeur », mais se doivent d’être conservés pour une certaine période. Les plus populaires sont les quelque 500 000 photographies. Certaines datent de près d’un siècle.
Un peu d’histoire
Mais pourquoi les archives d’Hydro-Québec couvrent-elles 250 ans d’histoire alors que la société d’État a été fondée en 1944 et que l’électricité est arrivée dans les foyers montréalais autour de 1880 ?
Avant Hydro-Québec, des sociétés privées avaient le monopole de l’électricité. « C’était un marché très lucratif, rappelle Martine Rodrigue. Des régions à la campagne n’étaient pas électrifiées, donc elles ne pouvaient pas se développer. »
Des intellectuels ont sonné l’alarme et plaidé en faveur d’un service uniformisé, dont Philippe Hamel. « Le grand oublié de l’histoire », dixit Martine Rodrigue. Dentiste de formation, Philippe Hamel a milité pour la nationalisation de l’électricité bien avant René Lévesque. Il a publié en 1932 l’ouvrage Le trust de l’électricité : Agent de corruption et de domination.
À Montréal, deux compagnies se partageaient – avant de fusionner – le lucratif marché de l’électricité au tournant du XXe siècle, soit la Royal Electric Company (propriété de sir Rodolphe Forget, en lien avec le Domaine Forget) et la Montreal Gas Company (qui appartenait à sir Herbert Holt).
À 150 kilomètres de la métropole, la Shawinigan Water & Power dominait aussi son marché. « La compagnie voulait percer à Montréal et elle a acheté le terrain où on se trouve ici », précise Vanessa Petit. À l’époque, c’était la cité de Maisonneuve, et il y avait beaucoup d’usines (citons la Biscuiterie Viau) et des manufactures comme celle de chaussures de la famille Dufresne. La Shawinigan Water & Power a fait construire une ligne de transport considérée comme révolutionnaire. Sa tension était de 50 kV, alors qu’aujourd’hui, on atteint 735 kV.
Un premier terminal a été construit à l’intersection des rues d’Orléans et de Rouen, qui va éventuellement alimenter le tramway de Montréal. Son président était Julian Smith, un Américain. « J’ai rencontré son petit-fils, venu de Washington nous voir. Il faisait une sorte de pèlerinage pour voir des trucs de son grand-père. […] Nous avons aussi reçu l’arrière-petit-fils de M. Holt », ajoute Martine Rodrigue.
En 1934, il y aura la Commission de l’électricité (la commission Lapointe). Suivra, dix ans plus tard, la Commission hydroélectrique de Québec, présidée par Télesphore-Damien Bouchard. On saute des étapes, mais ce dernier prendra les clés du Power Building, siège social de la Montreal, Light, Heat and Power.
Des trésors historiques
Toute cette période est documentée au Centre d’archives d’Hydro-Québec. Martine Rodrigue a un coup de cœur pour la série de photos immortalisant le voyage du topographe-arpenteur Gustave-Joseph Papineau lors d’une expédition sur la rivière Nottaway en 1912 et 1913. On peut y apercevoir des paysages, des glaciers et des membres de la Nation crie. « Ce sont les premières images de la Baie-James. »
« Ça, c’est un peu comme notre bébé, lance Martine Rodrigue, en sortant une sorte de vieux parchemin d’une enveloppe. C’est rare que nous ayons entre les mains un document de 1744. »
Datant du Régime français, il s’agit d’un acte de donation d’un lot d’un couple à son fils en échange de soins jusqu’à leur mort. Ce lot du quartier Longue-Pointe (dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve) appartiendra plus tard à la Shawinigan Water & Power.
Des documents des archives contiennent des codes secrets, d’autres relatent des pertes d’actions lors des naufrages du Titanic et de l’Empress of Ireland. On peut même lire le discours non prononcé de Daniel Johnson, mort en 1968 dans la nuit précédant l’inauguration du barrage de Manic-5.
Outre ses archives accessibles au public (sur rendez-vous), Hydro-Québec offre beaucoup de visites gratuites, notamment de ses centrales et centres d’interprétation. « Il y a la légende chez Hydro-Québec qui veut que René Lévesque se soit présenté dans une centrale pour la visiter. La personne à l’accueil ne l’a pas reconnu et lui a refusé l’entrée. René Lévesque aurait alors statué que c’était accessible et gratuit pour tout le monde », raconte Gabrielle Leblanc, conseillère en communication.
Un professeur a par ailleurs déjà dit à Martine Rodrigue : « Si on ne peut pas montrer des archives, pourquoi en avoir ? »
Lisez notre article sur les visites gratuites des centrales, dont celle de Rivière-des-Prairies