Les amoureux de maisons anciennes aiment les poutres massives, les pierres naturelles et la patine du temps sur les charpentes. Ils sont de ceux qui s'émeuvent devant des marques de chevillettes sur les murs. Aussi surprenant que cela puisse paraître, un jeune couple de Saint-Armand a acheté une maison historique en pièces numérotées, sans jamais l'avoir visitée! Histoire d'une bicentenaire plus belle et droite que jamais.

Mélanie Venne et Jean Lebelhabitent leur maison ancestrale depuis quatre ans maintenant, avec leurs enfants, Thomas, 8 ans, Matéo, 2 ans, et bientôt un troisième qui s'appellera Léo. «Nous avons hésité, raconte Mélanie, entre une maison neuve et une maison en vente sur le site de Michel Martel. Cette seconde option sauvait un bâtiment de la démolition et nous donnait un milieu de vie à notre goût.»

Michel Martel est le fondateur de Piecesurpiece.com. Spécialisé en charpenterie-ébénisterie traditionnelle, il se consacre, depuis plus de 35 ans, au sauvetage de maisons pièce sur pièce des XVIIIe et XIXe siècles. Il les acquiert, procède au «curetage» - mise à nu du squelette -, dessine les plans, monte un dossier, démantèle et numérote les morceaux, jusqu'à réduire la maison à un jeu de blocs, entreposé jusqu'à la vente.

Mélanie et Jean ont ainsi acquis la maison Leblanc, du nom des Acadiens qui l'ont érigée à Bécancour vers 1770, après avoir échappé à la déportation de 1755 en fuyant dans les bois. «Cette résidence a abrité, vu naître et mourir sept ou huit générations, observe M. Martel, puisque, à l'époque, la naissance et la mort avaient lieu à la maison. Ça lui donne une âme.»

La demeure est constituée de deux corps, la grande maison (30 pi sur 32) et la cuisine d'été (21 pi sur 22). Cette dernière a été ajoutée dans la première moitié du XIXe siècle. Les murs sont en robustes pièces de pruche à queue d'aronde. Dans la maison principale, ils sont parsemés de minuscules trous, le «picotis de chevillettes», ces petits bâtons de bois franc qui tenaient le crépi de glaise et de chaux isolant de l'époque.

Une charpente rouge

La charpente du toit est exceptionnelle - «du haut de gamme!» -, selon M. Martel: majestueuse, équarrie à la hache et d'une complexité qui «témoigne d'un savoir-faire français hérité du XVIIe siècle». Les poutres d'épinette, volumineuses, proviennent sans doute des premiers arbres coupés dans la région. Rougies et patinées par le temps, elles témoignent d'une longue histoire, comme un certain violon rouge.

En juin 2007, Jean prend un «congé par étalement» de huit mois, pour le coulage des fondations et le début de la construction. Mélanie, de son côté, s'absente du travail pendant deux mois. «C'était emballant de se lancer dans un tel projet!», confie-t-elle.

La maison repose sur une assise de béton, laquelle sort de terre sur une hauteur de 18 po. Pour reproduire l'apparence traditionnelle, cette portion exposée est constituée de pierres dans la moitié de son épaisseur.

M. Martel, qui a dirigé le chantier, a remis sur pied la vieille structure, qu'il a renforcée ici et là avec des plaques de métal. «Nous avons eu de longues discussions sur la façon dont ils avaient bien pu s'y prendre, en 1770, pour mettre en place les chevrons», relate Jean Lebel. Les planches d'origine ont été posées sur le toit, de même que les madriers des planchers-plafonds.

Cheminée massive

La charpente érigée, une équipe a commencé à monter l'imposante cheminée - 60 tonnes de pierre de carrière! «Un mois de travail à temps plein, à quatre gars, en comptant Jean-Guy, le maçon, dit Mélanie. Le plus gros travail de toute la maison! À hauteur du toit, ce n'est plus drôle: il faut des échafaudages. Le tailleur s'installe en haut pour couper ses pierres à la main. Si le mortier est trop clair, il faut redescendre ajouter du ciment. Comble de l'ennui, il a plu beaucoup durant cette période.» La cheminée repose sur une dalle de béton armé, elle-même posée sur le roc.

Les vieux murs de pruche de la maison Leblanc ont été recouverts d'une coquille légère et enduits d'uréthane de soya, pour l'isolation. On a conservé toutes les ouvertures d'origine, et l'atelier Tenons-Nous a refait sur mesure les portes et fenêtres. Le toit a été couvert de bardeaux imitation cèdre, faits à 95% de pneus recyclés (Enviroshake) et très durables.

Les propriétaires ont choisi de redonner à la toiture sa pente raide et droite d'origine, de caractère français. La pente avait été galbée au milieu du XIXe siècle au moyen de coyaux, une mode très québécoise. Le coyau est un long patin de bois cloué à la charpente, qui crée un galbe et allonge le bord d'un toit au-dessus d'une galerie.

Cacher les conduits

Comme on ne pouvait pas faire courir les fils électriques, la plomberie et les conduits à air pulsé dans les murs massifs ni dans les planchers, on a confectionné des cloisons en 2 X 8 pour cacher les plus gros et les plus rigides. On a pour la même raison ménagé un dégagement de 1 pi derrière le garde-manger et confectionné des boîtes de bois.

En mars 2008, la finition extérieure est terminée et les Venne-Lebel prennent possession de leur maison. «Nous n'avons pas arrêté depuis! lance Mélanie. Toutes les fins de semaine et durant les vacances, on poursuit la finition intérieure. C'est beaucoup de gestion de temps, entre le travail de Jean, comme policier à Montréal, et mes quarts de travail aux douanes canadiennes. Je savais qu'on s'embarquait à long terme, mais je ne savais pas à quel point!» Le parrain de Thomas vient donner un coup de main les fins de semaine, «ce qui nous a énormément aidés», dit Mélanie. Jean envisage de prendre un nouveau congé de quelques mois, pour poser les planchers du rez-de-chaussée, encore entreposés dans le garage.

Combien ça coûte?

Combien ça coûte, une maison ancestrale «à numéros»? «Au minimum, la même chose que construire une maison neuve, répond M. Martel. Ensuite, ça dépend du degré de purisme des propriétaires. Est-ce qu'on veut des fenêtres à carreaux en plastique ou bien des reproductions faites par un ébéniste?» Car le prix de la maison démontée, 20 000$ ou 30 000$, ne compte pas pour beaucoup dans la balance. «C'est la coquille de départ, commente M. Martel. Tout le reste doit être fait à neuf: l'excavation, les fondations, l'isolation, la ventilation, l'électricité, la plomberie, les revêtements extérieurs...»