Des faillites qui se multiplient, des citoyens qui tirent le diable par la queue, un chef d'État qui tente de rassurer ses citoyens. Non, nous ne sommes pas aux États-Unis. La France est également frappée de plein fouet par les ratés de l'économie. Et les Français sont aussi moroses qu'angoissés, nous raconte notre correspondant à Paris.

Jeunes et vieux, hommes et femmes défilent, le visage fermé, dans le magasin Leader Price de la rue Parmentier, au coeur du 10e arrondissement de la capitale française. Ils scrutent les étiquettes des produits à bas prix empilés sur les tablettes.

 

La radio qui accompagne leurs pas semble n'aborder qu'un seul thème: le pouvoir d'achat. «Dix pour cent de réduction, ça, c'est du concret», souligne un message publicitaire. «Au moins une bonne nouvelle pour la rentrée», martèle un autre annonceur, confirmant, si besoin était, la morosité ambiante.

Sonia, créatrice d'objets d'art qui habite le secteur, ne fait ses courses que dans les commerces de «hard discount» comme Leader Price, où les prix sont plus concurrentiels.

«C'est moins cher. Je ne peux pas me permettre le reste», souligne la dame, qui avance en claudiquant en raison d'une récente opération à la jambe.

«Je marche parfois des kilomètres pour aller dans certains magasins moins chers. Heureusement que j'ai un chien, ça me motive à bouger... Il y a une boutique chinoise qui vend des produits bientôt périmés. Elle est presque toujours pleine, maintenant. Ce n'était pas comme ça avant», souligne la Parisienne, dont le compagnon, qui est ventriloque, tire lui aussi le diable par la queue.

«À une certaine époque, il y avait 300 cabarets à Paris pour 30 artistes. Maintenant, il y a 30 cabarets pour 300 artistes... Quand les gens n'ont plus les moyens de sortir, ce sont les artistes qui pâtissent les premiers», dit-elle.

Moins de vacances, moins de loisirs

Sonia n'est pas la seule à ne pas voir la vie en rose par les temps qui courent. Selon un sondage IFOP paru il y a quelques semaines, un Français sur trois se dit optimiste en pensant à son avenir et à celui de ses enfants, une baisse de 20 points en huit mois seulement. À l'exception d'un creux survenu en 2005 au lendemain du référendum sur l'Europe, il faut retourner au milieu des années 90 pour trouver un tel passage à vide.

Jérôme Fourquet, directeur d'études à l'IFOP, pense que la question du pouvoir d'achat joue un rôle central dans cette chute.

La flambée des prix de l'essence et des produits alimentaires de base, qui s'ajoute aux mesures sociales limitant la rémunération, comme la politique des 35 heures, ont fini par gruger petit à petit le budget des ménages, explique l'analyste.

Faute de moyens, nombre de Français réduisent leurs dépenses. Un peu plus de 30% des familles sont parties en vacances cet été, comparativement à 42% en 2005.

Autre signe des temps: restaurants et cafés sont durement touchés. Le nombre de faillites a augmenté de 35% dans les trois premiers mois de 2008 comparativement à la même période en 2007. La principale organisation patronale du secteur demande un «plan d'urgence».

Sur papier, la baisse du pouvoir d'achat des Français n'a rien de dramatique puisque l'Institut national de la consommation parle d'un recul de 0,8% pour l'année en cours. L'Institut national de la statistique et des études économiques, qui utilise une méthodologie différente, projette même une hausse.

«Il y a un décalage entre les chiffres officiels et la dégradation telle que la ressentent les Français», souligne M. Fourquet, qui explique notamment cet écart par le martelage des médias.

Sarkozy contre l'angoisse

La préoccupation pour le pouvoir d'achat, plus marquée en France qu'ailleurs en Europe, cache aussi une inquiétude plus profonde, au dire de l'économiste Philippe Moati. «Les Français sont angoissés. Ils pensent que la situation ne peut que se détériorer, que le modèle des années 30 est menacé par la mondialisation, que les acquis sociaux se réduisent», a-t-il dit il y a quelques jours au quotidien Le Monde.

Rien sur le plan économique ne laisse présager une amélioration des chiffres de l'IFOP, qui a tenu sa dernière consultation avant l'éclatement de la crise financière en cours. Le ministère des Finances, après avoir plusieurs fois révisé ses prévisions à la baisse, évoque une croissance de 1% pour l'année en cours et une «croissance molle» en 2009.

Le président Nicolas Sarkozy, qui avait insisté durant la campagne de 2007 sur sa volonté de relancer le pouvoir d'achat des Français, a prononcé un discours hier soir pour expliquer à la population les grandes orientations du gouvernement en matière économique. Sa marge de manoeuvre est cependant très mince en raison de l'importante du déficit de l'État.

Le politicien aura fort à faire pour galvaniser les foules, estime M. Fourquet, puisque le vent d'optimisme qui a suivi son élection est depuis longtemps retombé.

«Personne n'y croit plus», souligne Sonia, en parlant de la capacité du chef d'État à renverser la vapeur.