Bien que les grands studios et les propriétaires de salles aient trouvé leur compte dans la transition vers le numérique, de nombreux réalisateurs continuent de tourner en 35 mm. «Pourquoi on se priverait d'une palette que peut utiliser l'artiste quand la chaîne de distribution tombe », demande très justement Paul Dion.

La pellicule reste en effet le support fétiche de Xavier Dolan. Elle est également prisée par les Denis Côté, Chloé Robichaud, Michel La Veaux et François Girard.

«Au Québec, il y en a plus que partout ailleurs parce que les DOP [directeurs photo] aiment ça et qu'on a un laboratoire photochimique à Montréal! L'oeil de nombreux cinéastes a été développé et ils tiennent à la pellicule», observe André Turpin, qui a travaillé à la direction photo des derniers films de Xavier Dolan.

Aux États-Unis, Quentin Tarantino, Wes Anderson, J.J. Abrams et Christopher Nolan ont fait du 35 mm leur cheval de bataille. En 2014, ce dernier a même réussi à faire plier les grands studios en exigeant qu'Interstellar soit présenté dans les cinémas équipés de projecteurs 35 mm deux jours avant sa sortie officielle en salle.

Darren Aronofsky vient pour sa part de tourner en 16 mm Kodak Room l'été dernier à Montréal, faisant appel au laboratoire Mel's pour l'occasion. En 2015, plusieurs studios californiens ont même promis d'acheter, chaque année, un nombre important de bobines à Kodak pour éviter que l'entreprise américaine n'abandonne la production de pellicule argentique.

Des initiatives qui expliquent en grande partie le regain mondial du 35 mm, selon le directeur des opérations aux studios Mel's, et l'ouverture d'un nouveau laboratoire Kodak à New York au cours de l'année.

«Kodak voit son chiffre d'affaires se stabiliser et même augmenter un peu. En terme de labo aux États-Unis, FotoKem, à Burbank [en Californie], est devenu la Mecque. C'est le seul gros laboratoire photochimique. Mais face à la demande soutenue de pellicule pour le tournage, Kodak a voulu aider ses clients de la côte Est», explique Paul Dion.

Une affaire de conservation

Au-delà du choix artistique, l'utilisation de la pellicule est également au centre des interrogations quant à la conservation des films au gré des changements technologiques.

On ignore en effet combien de temps il est possible de conserver un fichier numérique. Les studios Gaumont exigent d'ailleurs qu'une copie film de chacune de leurs productions leur soit livrée. La pellicule polyester, si elle est conservée dans des conditions optimales, peut être préservée pendant des centaines d'années.

Le Festival international du film de Toronto a d'ailleurs mis sur pied l'an dernier Save This Moment, une campagne de financement pour l'acquisition de trois collections de films en 35 mm en provenance des studios NBC Universal, Mongrel Media et eOne Entertainment.

De leur côté, les propriétaires de salles comme Vincent Guzzo réfutent la supériorité visuelle de la projection en 35 mm.

«Le numérique donne une présentation d'une qualité visuelle supérieure, présentation après présentation. Si on prend du 35 mm standard, après une semaine, le film est déjà plein de rayures», assure Vincent Guzzo, qui ouvrira le 24 juin un nouveau cinéma à Saint-Jean-sur-Richelieu dont les 12 salles seront équipées de projecteurs numériques au laser.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, LA PRESSE

La pellicule polyester, si elle est conservée dans des conditions optimales, peut être préservée pendant des centaines d'années.