Quentin Tarantino a voulu retrouver l'essence du cinéma en réalisant un western selon une méthode plus ancienne. Tourné sur pellicule en format Ultra Panavision 70, The Hateful Eight met en vedette plusieurs habitués de l'univers du cinéaste.

Tout a commencé au printemps de l'an 2014. En ce soir d'avril, Quentin Tarantino a réuni une bande d'acteurs sur la scène d'un théâtre de Los Angeles. Leur mission était de livrer une lecture publique d'un scénario dont le cinéaste ne savait pas encore quelle forme lui donner. Ni s'il en ferait un film un jour. À la fin de l'exercice, les 1600 spectateurs se sont levés d'un bond pour ovationner l'oeuvre, son auteur et les interprètes.

Il faut dire qu'auparavant, une fuite sur le web avait bien failli tout gâcher. Une première version du scénario avait en effet été piratée et mise en ligne, suscitant alors l'ire du cinéaste.

«J'étais furieux, mais j'ai quand même réussi à composer avec cet incident, a-t-il déclaré au cours d'une conférence de presse tenue récemment à Los Angeles. Ça m'a forcé à chercher une nouvelle façon d'écrire, de scénariser.»

Une trilogie non officielle

Après Inglourious Basterds et Django Unchained, le réalisateur de Pulp Fiction plonge une fois de plus dans une histoire à caractère historique. À sa manière, bien sûr. Il met ainsi un terme à une espèce de trilogie non officielle, dont chacun des volets évoque un moment important de l'histoire américaine et mondiale. Le récit de The Hateful Eight, campé quelques années après la fin de la guerre de Sécession, décrit le parcours d'un chasseur de primes (Kurt Russell) qui doit traverser le Wyoming en compagnie d'une détenue (Jennifer Jason Leigh) pour se rendre à la ville de Red Rock. Il se trouve que le périple ne sera pas aussi simple que prévu.

En effet, les deux hommes qu'ils rencontrent sur la route, un infâme chasseur de primes (Samuel L. Jackson) et le présumé nouveau shérif de Red Rock (Walton Goggins), poursuivront le voyage avec eux. Et tout ce beau monde de converger vers une auberge d'enfer au moment où une tempête hivernale fait rage. Quatre autres individus peu recommandables s'y trouvent...

«Je ne souhaite pas faire passer de messages, mais j'aime bien infiltrer le scénario de quelques idées, indique le cinéaste. À mon sens, rien ne parle mieux de l'Amérique que le western. De plus, ce qu'on y trouve reflète souvent l'état d'esprit de l'époque dans laquelle ils se sont produits. Par exemple, les westerns réalisés dans les années 50 et 60 étaient en phase avec l'ère du président Eisenhower. Dans les années 70, ils étaient beaucoup plus cyniques.»

Empruntant une forme théâtrale dans sa construction dramatique, The Hateful Eight permet aussi de réunir plusieurs des personnages dans un même cadre.

«C'est l'un des avantages de l'Ultra Panavision 70, précise Quentin Tarantino. On a tendance à croire que ce format ne pourrait être utile que pour filmer des paysages grandioses. Cela n'est pas le cas. Ce format permet aussi de créer un espace encore plus intime. Samuel n'a jamais eu droit à d'aussi beaux plans rapprochés. Et puis, il peut toujours se passer quelque chose à l'arrière-plan. On surveille la scène comme une partie d'échecs.»

Un thème bien contemporain

À l'époque où l'intrigue du film est campée, alors que l'esclavage vient à peine d'être aboli, l'Amérique est évidemment aux prises avec des problèmes de racisme. Lesquels ont encore une résonance aujourd'hui. Samuel L. Jackson, l'un des acteurs fétiches de Quentin Tarantino, estime que les films sont justement là pour tendre un miroir à la société.

«Pour se sentir en sécurité dans la rue, on doit être un genre de gentil Noir, a-t-il déclaré. Si on se présente autrement, on est montré du doigt. Aujourd'hui, je plains ceux qui ont l'apparence des gens du Moyen-Orient, car je sais ce qui les attend. Un temps, c'était nous.»

Fidèle à son habitude, Tarantino utilise dans son film un langage qui pourrait être offensant, notamment en faisant entendre très souvent ce que les Américains appellent le N Word.

«C'est le langage qui était utilisé et qu'utilisent encore bien des individus quand ils parlent, explique l'acteur. Que mon personnage soit dans la pièce ou pas ne change rien. Il sait tout de suite de qui ils parlent. Cela dit, il y a encore des gens qui ont la nostalgie de cette époque. En faisant ce film, nous savons que nous ne nous adressons pas seulement aux admirateurs du cinéma de Quentin. Ceux qui le détestent iront le voir aussi, seulement pour nourrir leur ressentiment. Et ils donneront raison aux personnages de s'exprimer ainsi. C'est la nature même du cinéma et c'est pourquoi nous le faisons. Si un film peut susciter la discussion, aider les gens à réfléchir, peut-être les choses changeront-elles un jour.»

Le cinéaste se fait d'ailleurs un devoir de suivre sa propre trajectoire sans tenir compte des critiques que certains pourraient formuler à propos de son travail ou même, parfois, à propos de sa personne.

«Il est de mon devoir de ne pas en tenir compte, dit-il. À cet égard, mon héros est Ken Russell. Il était constamment critiqué en Angleterre parce qu'il aimait repousser toutes les limites. Mais il croyait à ce qu'il faisait à 100%, se donnait entièrement à son art et disait à ceux qui n'aimaient pas ses films de ne pas aller les voir.»

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The Hateful Eight (Les huit enragés en version française) prend l'affiche le 24 décembre à Montréal; le 1er janvier ailleurs au Québec.

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Les frais de voyage ont été payés par Films Séville.