Avec ses ressorts industriels, financiers, judiciaires et politiques, la tentaculaire affaire Clearstream avait tous les ingrédients d'un scénario de film. Dans L'enquête, le réalisateur Vincent Garenq relève le défi avec un bon thriller journalistique.

L'affaire avait défrayé la chronique en 2004 sur fond d'affrontement politico-judiciaire entre le premier ministre, Dominique de Villepin, et le futur président de la République, Nicolas Sarkozy, qui avait promis de pendre son rival à «un croc de boucher».

Le film revient, lui, aux sources de cette ténébreuse histoire en suivant l'enquête du journaliste d'investigation Denis Robert, qui avait déclenché un scandale en 2001 en dénonçant la société Clearstream, une institution financière luxembourgeoise inconnue du grand public, comme une grande lessiveuse d'argent sale.

Dès les premières images du film, le ton est donné: des policiers perquisitionnent le domicile du journaliste. L'homme semble alors bien seul derrière son ordinateur, entouré de dossiers, cartes et photos symbolisant son travail d'enquêteur, comme hébété face aux policiers et aux flashs des photographes de presse qui cernent sa maison.

«Ce qui est dit dans cette séquence annonce tout le menu du film de manière émouvante et condensée», explique Vincent Garenq, qui a déjà abordé l'univers judiciaire qui le passionne dans son précédent film Présumé coupable sur l'affaire d'Outreau.

«J'avais découvert l'ouvrage d'Alain Marécaux (le notaire d'Outreau) par hasard et c'est aussi par hasard que je suis tombé sur La Boîte noire (livre sur Clearstream) de Denis Robert, en pressentant qu'il y avait là une matière un peu sulfureuse», dit-il.

Une mécanique infernale 

Le film suit pas à pas l'enquête du journaliste, incarné avec conviction par Gilles Lellouche, dans sa croisade contre la corruption internationale avec «pour allié», le juge financier Renaud Van Ruymbeke, interprété par un Charles Berling très crédible dans le rôle du magistrat intègre et pugnace, bloqué dans ses enquêtes par la complexité des circuits financiers, les paradis fiscaux et le secret d'État.

«On ne peut que s'attacher à Denis Robert et à Van Ruymbeke qui, d'une certaine manière, sont des justes. Et comme ils ne parviennent pas à leurs fins, on les aime d'autant plus», dit Vincent Garenq.

Rencontres secrètes d'informateurs sur des stationnements, filature du journaliste par des hommes de main qu'on imagine être à la solde de la finance internationale... On retrouve ici l'ambiance des thrillers politiques américains, avec un traitement de l'image, caméra à l'épaule, proche du documentaire.

Une des réussites du film est d'avoir rendu limpide la mécanique infernale de cette affaire tentaculaire où se croisent un escroc romanesque, Imad Lahoud, des lanceurs d'alerte, un général des services secrets, Philippe Rondot, des militaires taïwanais, le patron d'un groupe industriel, Jean-Louis Gergorin, un premier ministre et un futur président de la République.

Les moteurs de cette mécanique: l'obsession et l'ambition. Celles de la vérité ou de la justice qui ont conduit le journaliste et le juge à prendre le risque de franchir des lignes jaunes, celles d'un industriel et d'hommes politiques aveuglés par leur soif de revanche et enfin, celles d'un aventurier beau parleur, prêt à tout pour réussir.

Les passionnés de l'affaire goûteront en particulier les performances d'acteurs de Laurent Capelluto et Eric Naggar, troublants dans leur incarnation d'Imad Lahoud, le mathématicien falsificateur de listings de comptes de Clearstream à l'origine d'un scandale d'État, et de Jean-Louis Gergorin, le numéro 2 du groupe EADS, qui a donné du crédit à cette manipulation.

«Je pensais que Garenq  n'arriverait pas en l'espace de deux heures à raconter Clearstream 1 et Clearstream 2 (les volets financiers et politiques de l'affaire, sans me trahir. Évidemment, il a un peu romancé certains aspects de l'histoire et en a passé d'autres sous silence. Mais le ton est assez juste» a salué Denis Robert, qui a suivi l'écriture du script.