De Nuit et brouillard jusqu'à Aimer, boire et chanter, primé à Berlin récemment, Alain Resnais laisse une oeuvre colossale en héritage, l'une des plus marquantes de l'histoire du cinéma.

«Sa mort est intervenue samedi soir. Il était entouré de sa famille et de ses proches à Paris», a simplement déclaré Jean-Louis Livi, producteur des plus récents films du disparu. Alain Resnais, malade, n'avait d'ailleurs pas fait le voyage à Berlin le mois dernier. Son plus récent film Aimer, boire et manger, a été défendu là-bas par son équipe de comédiens, y compris sa muse et compagne Sabine Azéma. Le jury lui a décerné néanmoins le Prix Alfred Bauer, un Ours d'argent remis au film le plus novateur de la compétition. Juste retour des choses pour un cinéaste qui, même au dernier acte d'une carrière exceptionnelle, n'avait de cesse d'explorer son art. Sur son lit de mort, à 91 ans, le réalisateur de Mon oncle d'Amérique était en train d'écrire le scénario de son prochain film.

Un premier court oscarisé

Né en 1922 à Vannes, sur la côte sud de la région de Bretagne, Alain Resnais est le fils unique de parents cultivés. Sensibilisé très tôt à toutes les formes d'art, il est déjà presque jeune adulte au moment où la Deuxième Guerre mondiale éclate; 1939 marque d'ailleurs l'année où le jeune provincial débarque à Paris avec l'espoir de devenir un jour comédien. Mais les différents métiers du cinéma l'intéressent très vite. Le jeune homme passe avec succès en 1943 le concours de l'IDHEC (la grande école de cinéma à l'époque en France) et il est admis dans la section montage.

Pendant 10 ans, le cinéaste se fera remarquer grâce à des courts métrages. Van Gogh, sa toute première offrande, obtient d'ailleurs l'Oscar du meilleur court métrage en 1950. Ce sont toutefois ses courts métrages documentaires qui marquent les esprits. Au moment de l'arrivée de la Nouvelle Vague, on associera volontiers Resnais au groupe de la «Rive gauche», très engagé, duquel font notamment partie Agnès Varda et Chris Marker. Avec ce dernier, il cosigne en outre Les statues meurent aussi (1953), un pamphlet anticolonialiste qui sera frappé d'interdiction pendant huit ans. Deux ans plus tard, le cinéaste accepte une commande du Comité d'histoire de la Seconde Guerre mondiale pour le 10e anniversaire de la Libération. Avec les mots de Jean Cayrol, la voix de Michel Bouquet, la musique de Hanns Eisler, Nuit et brouillard évoque la tragédie des déportés comme jamais une production artistique ne l'avait encore fait jusque là.

Une suite de chefs-d'oeuvre

Alain Resnais propose son premier long métrage exactement la même année que François Truffaut, de 10 ans son cadet. Hiroshima mon amour est aujourd'hui classé parmi les chefs-d'oeuvre du cinéma. Une polémique naîtra toutefois au Québec après que le Bureau de la censure se soit fait grossièrement aller le ciseau. En 1960, la version du grand film de Resnais exploitée dans les salles du Québec, de 13 minutes plus courte, est amputée de scènes jugées «amorales».

Les prochains films taquinent tous la cote du chef-d'oeuvre aussi. Faisant souvent appel à des écrivains pour l'écriture de scénarios originaux, Resnais propose coup sur coup Hiroshima mon amour (Marguerite Duras), L'année dernière à Marienbad (Alain Robbe-Grillet), Muriel ou le temps d'un retour (Jean Cayrol), La guerre est finie (Jorge Semprún - avec Geneviève Bujold).

Il explorera ensuite davantage une veine plus philosophique, axée sur l'intime (Mon oncle d'Amérique, L'amour à mort) avant de se tourner carrément, à partir de Mélo (1986), vers un cinéma plus léger, marqué en outre par plusieurs adaptations de pièces de théâtre, françaises et anglo-saxonnes. C'est à partir de cette époque qu'il fait pratiquement toujours appel à la même famille de comédiens. Outre sa muse Sabine Azéma, Pierre Arditi, André Dussollier et Lambert Wilson sont souvent appelés à moduler ses partitions. Son association avec les scénaristes Agnès Jaoui et Jean-Pierre Bacri s'est aussi révélée fructueuse. Smoking/Non smoking, une adaptation d'une pièce d'Alan Ayckbourn, a été adulée par la critique. On connaît la chanson, aussi écrit par le tandem, lui vaut le plus grand succès populaire de sa carrière.

Lors d'un entretien accordé à La Presse en 2007, le cinéaste expliquait pourquoi il avait toujours refusé de porter des romans à l'écran.

«Contrairement à un lecteur, un spectateur de cinéma ne peut pas revenir en arrière pour se concentrer sur un passage qu'il aurait moins bien saisi. À cet égard, le théâtre et le cinéma ont une racine commune qui, dans mon esprit, est capitale. J'aurais une grande répulsion à tourner une adaptation de roman, mais je n'ai en revanche pas du tout ce scrupule face à une adaptation théâtrale.»

Au Festival de Cannes il y a deux ans, où il était venu présenter Vous n'avez encore rien vu, cet homme humble, reconnu pour sa vivacité d'esprit, son élégance et sa délicatesse, préférait encore regarder devant plutôt que derrière.

«Il n'y a aucune relation entre mes films, avait-il alors déclaré. Je n'ai pas l'impression d'une carrière. J'essaie simplement de ne pas me répéter et de ne pas penser au film précédent.»