En 2005, le réalisateur nippon Kazuhiro Soda a suivi le parcours d'un novice en politique parachuté dans une banlieue ouvrière de Tokyo pour une élection locale. Il en a fait un documentaire rare intitulé Campaign qui éclaire les dessous de la politique japonaise.

Ce film, dont la sortie est prévue le 9 juin au Japon, décrit les premiers pas en politique de Kazuhiko Yamauchi, un entrepreneur de 40 ans, investi par le Parti libéral-démocrate (PLD), l'omnipotent parti de droite au pouvoir au Japon, pour décrocher un siège au Conseil municipal de Kawasaki.

«Ce n'est pas un documentaire qui prend parti pour telle ou telle thèse politique. J'ai voulu montrer les choses telles qu'elles sont», a expliqué à l'AFP M. Soda lors d'une avant-première à Tokyo.

Sans commentaires, Campaign (Senkyo en japonais), présenté à la Berlinale en février dernier, met en lumière des pratiques électorales à la fois semblables à n'importe quelle démocratie et très spécifiques au Japon.

On voit ainsi l'aspirant-politicien, muni d'un porte-voix et de gants blancs, répéter inlassablement son nom et son prénom, ou sillonner en camionnette les rues de Kawasaki en faisant des signes de main amicaux aux passants.

On prend aussi conscience de la puissante machine électorale du PLD qui règne quasiment sans interruption sur le Japon depuis plus d'un demi-siècle.

Nez aquilin, fluet mais énergique, Yamauchi apparaît comme un débutant un peu gauche, sans grand charisme.

Mais investi par le PLD, il bénéficie de l'appui des élus locaux et de leur puissante base de militants, dont l'un dit voter PLD car c'est une tradition héritée de son grand-père.

Le nouveau candidat est présenté en personne par ces notables à tous les chefs des puissantes corporations, agricoles ou religieuses, que l'on invite, avec une politesse toute japonaise, à voter pour le novice.

On s'amuse aussi à découvrir le dévouement un tantinet excessif d'hommes politiques en complet-veston, sautant à pied joint avec des retraités lors d'une séance de gymnastique collective très organisée.

Dans ce film, les caciques du PLD semblent donner la primauté à la forme plutôt qu'au fond, à travers les conseils qu'ils prodiguent au nouveau-venu souvent rudoyé: «Les gens n'écoutent que pendant trois secondes, il est donc crucial que tu répètes ton nom toutes les trois secondes», ou encore: «Sois conscient de tes gestes, le timing du salut est très important».

Le programme politique est à peine effleuré. Tout juste sait-on que le candidat compte oeuvrer pour les mères de famille et faire reculer la délinquance.

Le spectateur réalise l'extrême complexité du système électoral nippon: M. Yamauchi brigue un siège vacant au conseil municipal en même temps que se déroulent deux autres scrutins locaux.

«On vote pour quoi, exactement? Il y a trop d'élections», maugrée une habitante de Kawasaki.

Le documentaire met enfin en lumière des comportements misogynes dont est souvent accusé le monde politique japonais.

Il est ainsi fortement recommandé à Sayuri, l'épouse du candidat qui participe à la campagne, de se présenter comme une femme au foyer alors même qu'elle travaille.

Yamauchi, qui bénéficiera aussi d'une visite éclair de soutien du charismatique ex-Premier ministre Junichiro Koizumi (2001-2006), sera finalement élu de justesse avec 1000 voix d'avance sur son rival de l'opposition, dans un scrutin au taux de participation très faible (à peine 35 %).

Aujourd'hui, Kazuhiko Yamauchi, qui vient de terminer son mandat, entend oeuvrer pour rendre le système politique japonais plus démocratique.

«C'était une campagne pénible. Ma tâche principale a été de ressasser mon nom encore et encore», a confié à l'AFP le héros du film, qui aspire à créer des espaces de dialogue avec les électeurs et favoriser les débats entre les candidats.