Luc Perreault est mort dimanche des suites d'une longue maladie. Il était âgé de 65 ans. Journaliste à La Presse pendant 39 ans, dont 36 à titre de critique de cinéma, notre distingué collègue a suivi un parcours professionnel qui se démarque par sa constance et sa rigueur intellectuelle.

«Il a été un pionnier, a commenté hier le producteur Roger Frappier. Il a contribué à rendre le cinéma québécois accessible au grand public en expliquant les démarches artistiques des créateurs. Avec lui disparaît un morceau de la mémoire cinématographique québécoise. C'est une très grande perte.»

Luc Perreault a poursuivi des études en philosophie à l'Université de Montréal. Parallèlement à une thèse qu'il élabore sur les «mass-media», le jeune homme suit alors un stage au journal Le Soleil de Québec, et travaille comme reporter pour le compte d'un hebdomadaire de Joliette. Le 27 juin 1966, Luc Perreault est embauché par La Presse. Deux ans plus tard, il est nommé chroniqueur au cinéma. Il occupera ce poste jusqu'à sa retraite en 2005.

Homme de culture, Luc Perreault a été un témoin privilégié du cinéma des quatre dernières décennies. Il a notamment pu suivre de très près l'émergence du cinéma québécois. Dès le début de sa carrière de journaliste, il en était d'ailleurs l'un des plus farouches partisans.

«Il a été l'un des premiers critiques à attirer l'attention sur les films de Jean-Pierre Lefebvre, Jean-Claude Labrecque, Denys Arcand, Gilles Carle, et tous les cinéastes québécois de cette génération», fait remarquer Roland Smith, un ami de longue date, aujourd'hui directeur du Cinéma du Parc.

«Il estimait à l'époque que le cinéma québécois d'auteur était voué à un brillant avenir, ajoute-t-il. Grâce à lui, La Presse fut le premier quotidien à consacrer régulièrement de l'espace au cinéma d'ici. Le cinéma québécois lui doit une fière chandelle.»

La nouvelle de la disparition de l'éminent critique a évidemment consterné le milieu du cinéma. Louis Dussault, le patron de la société de distribution K Films Amérique, a bien voulu témoigner.

«Luc Perreault est de cette génération de critiques qui a eu à rendre compte des films de Fellini, Antonioni, Truffaut et Bergman. C'est un grand amoureux du cinéma qui vient de partir, une référence incontournable, une signature unique, une culture solide qui laissera un vide immense.»

Serge Losique, président directeur général du Festival des films du monde, déplore de son côté le départ d'un «grand critique». «Il fut sans contredit l'un des meilleurs critiques que le Québec ait connu. Même s'il n'était pas toujours tendre envers notre organisation, ses critiques de films ne pouvaient jamais être remises en cause. Il savait, mieux que personne, bien comprendre les films.»

Le président de l'Association québécoise des critiques de cinéma, Sandro Forte, rend quant à lui hommage à la passion qu'éprouvait le critique envers l'art cinématographique. «Le cinéma coulait dans ses veines, dit-il. La critique ne s'exerce plus aujourd'hui tout à fait de la même façon mais il est clair que Luc Perreault a influencé - même de façon inconsciente - des générations de critiques. C'était un intellectuel, un érudit. Il avait trouvé la manière de livrer son propos dans un grand média comme La Presse tout en restant fidèle à ses convictions. On pouvait d'ailleurs le croiser souvent dans les festivals de cinéma, à la Cinémathèque, dans les salles obscures. Il se faisait un devoir d'aller voir tous les films, même quand il n'était pas en fonction. Luc était une référence. L'AQCC est aujourd'hui un peu orpheline.»

Le vice-président à l'information et éditeur adjoint de La Presse, Philippe Cantin, a aussi fait l'éloge du critique disparu.

«Au fil de sa fructueuse carrière à La Presse, Luc Perreault s'est gagné le respect inconditionnel de nos lecteurs. Sa passion pour le cinéma, son jugement sûr et sa connaissance inégalée du milieu ont constitué des atouts remarquables pour notre journal. La grande famille de La Presse pleure aujourd'hui sa disparition mais gardera toujours de lui un brillant souvenir.»

Une cérémonie officielle aura lieu vendredi à midi au Cinéma du Parc, un choix symbolique qui lui aurait sûrement fait plaisir. La famille convie amis, collègues, professionnels, lecteurs et grand public à partager ce dernier moment en son et en images.

Quelques anecdotes

> À Berlin

«Nous sommes au milieu des années 80. Luc assistait au Festival de Berlin et m'a demandé de l'accompagner à Berlin-Est. Nous traversons la frontière dans le métro et nous nous dirigeons, à sa requête, à Alexander Platz (réminiscence de Fassbinder). L'endroit a entièrement été détruit pendant la guerre. Tout est neuf et n'a rien à voir avec le décor du film. On aperçoit un restaurant: Restaurant de la presse internationale. Il est 14 h 30. À part un couple qui jase dans un coin, personne. La Fraü de service nous invite à nous asseoir à côté du couple. Qui, aussitôt, cesse de parler (comme dans La vie des autres). On regarde les journaux disponibles: L'Humanité, PCF, l'Unita PCI et la Pravda en traduction allemande. À notre retour à Berlin-Ouest, Luc m'avait dit que pendant ces quelques heures d'après-midi d'hiver, il avait eu le frisson que procure la conscience du totalitarisme. Curieusement, c'est avec Something Like Happiness, un film venu de l'Est (République tchèque) qu'il a signé sa toute dernière critique d'un film.»

Louis Dussault, distributeur

> À Cannes

«Je me souviens de ma première présence au Festival de Cannes. C'était en 1987, alors que nous présentions Un zoo la nuit à la Quinzaine des réalisateurs. La projection avait été triomphale et les festivaliers ne voulaient plus laisser partir Jean-Claude Lauzon. Or, le titre de La Presse du lendemain était «Un zoo la nuit passe la rampe». Passe la rampe! Pour décrire un triomphe! Je ne l'ai pas pris. J'ai cherché Luc pour qu'il m'explique de quoi il en retournait. J'ai mis deux jours à le trouver. Je l'ai engueulé comme du poisson pourri pour me faire ensuite expliquer que les journalistes ne sont pas responsables des titres qui coiffent leurs articles. Notre amitié fut ponctuée d'engueulades et de réconciliations. Sa disparition m'affecte beaucoup.»

Roger Frappier, producteur

Dernière déclaration publique

Au fil de sa carrière, Luc Perreault a couvert de nombreux festivals de cinéma, dont le Festival de Cannes une quinzaine de fois. Voici ce qu'il nous déclarait au mois de mai dernier à l'occasion du 60e anniversaire du Festival.

«Ma toute première impression du Festival de Cannes - c'était au début des années 70 - en a été une de déception. Au point où j'ai failli tout de suite retourner chez moi! Je m'attendais à un événement axé sur l'aspect culturel et je me retrouvais au milieu d'une manifestation très mercantile, branchée sur les affaires. Je me suis évidemment adapté au fil des ans mais j'avoue avoir été d'abord étonné par ce côté clinquant. La dernière fois où j'y suis allé en tant que journaliste, j'ai eu droit à une forte participation québécoise. 2003 a en effet l'année des Invasions barbares dans la compétition, de La grande séduction à la Quinzaine, et de 20 h 17 rue Darling à la Semaine de la critique.»

> Film québécois de fiction favori: Léolo de Jean-Claude Lauzon

Depuis que les critiques de La Presse sont accompagnées de cotes, Luc Perreault a accordé une cote de cinq étoiles à deux films: Les invasions barbares de Denys Arcand; et Parle avec elle de Pedro Almodovar.