Je rejoins Laurent Lucas sur la terrasse du Daylight Factory, rue Saint-Alexandre. L'acteur, révélé au grand public dans Harry un ami qui vous veut du bien, joue le mari trompé de Toi, film de François Delisle présenté hier au FFM. Il parraine ces jours-ci le deuxième rallye müvmédia Québec-France, un concours de reportages multimédias. Discussion avec un Français qui a choisi le Québec.

Marc Cassivi: Je me demandais s'il y avait une grande différence entre la perception que tu avais du Québec en t'y installant et la réalité. Je connais des Français qui avaient une vision idéalisée du Québec et qui ont déchanté. C'est un peu partout pareil pour certaines choses, non?

Laurent Lucas: J'ai rencontré la mère de mes enfants à Montréal, pendant le tournage de Quelque chose d'organique (de Bertrand Bonello). Elle m'a suivi en France et on a eu des enfants à Paris, avant qu'on ne revienne s'installer à Montréal, parce que j'adorais ça. On s'est séparés depuis, mais j'habite plus ou moins à Montréal depuis cinq ans et demi. L'image qu'on a en France de Montréal, c'est cette image fausse de la vie souterraine, intense, avec des grands gratte-ciel partout. Une ville hyper moderne, très nord-américaine...

M.C.: Un peu comme New York.

L.L.: Voilà. Il y a quelque chose d'un peu froid dans cette conception. Mais en arrivant à Montréal, j'ai vu plutôt le contraire: ce côté délabré qui est tellement plaisant, cette architecture qui est presque toujours la même, peu importe qu'on soit dans un quartier pauvre ou riche. En France, on voit cette différence. Ici, on ne la voit pas, elle se vit. C'est arbitraire. Ce qui m'a frappé quand je suis arrivé et que j'ai adoré, c'est que tout est à l'horizontale. Il n'y a rien en hauteur qui te bouche la vue du ciel. Les panneaux de rue à l'horizontale, je trouvais que ça avait une gueule presque cinématographique.

M.C.: L'architecture t'a plu? Ici, les gens trouvent que c'est l'anarchie. Ils méprisent un peu leur patrimoine.

L.L.: C'est une architecture qui me convient vraiment. Ce n'est pas une architecture qui étouffe comme à Paris, où tout est monumental, tout raconte le passé, la gloire, des références qui t'écrasent. Ici, je suis bien. Je l'ai tout de suite senti. Mon ex-femme ne voulait pas qu'on revienne s'installer à Montréal. Elle avait peur pour ma carrière, elle trouvait ça dangereux. Elle ne voulait pas que je me sacrifie pour elle. Mais je voulais vraiment revenir. J'ai vécu une migration physique. À Paris, je ne me rendais pas compte à quel point j'étouffais. À Montréal, j'habite tout près d'un parc. À Paris, tout ce que je pouvais proposer aux enfants, c'est d'aller faire du poney au Luxembourg...

M.C.: Tu ne regrettes pas ton choix, donc?

L.L.: Je parais être le mec qui s'entête à ne voir que le positif dans un lieu, mais j'aime totalement le Québec. Je te le jure. Comme tu dis, c'est partout pareil au niveau des rapports entre les gens, sauf qu'ici, c'est tellement plus détendu, plus civil. Il n'y a rien qui me gêne. Je vois des défauts comme partout, mais ces défauts-là ne me gênent pas. Je m'en fous. Je suis tellement bien ici.

M.C.: C'est vrai qu'à Paris, où j'ai vécu environ un an, il y a un rythme à prendre qui est beaucoup plus accéléré. C'est plus habillé, plus formel.

L.L.: Cela dit, j'aime aussi Paris. C'est une ville qui m'a émancipé, qui m'a donné de la liberté. Je venais du Havre, une ville très triste, ouvrière, sinistrée par le chômage, reconstruite après la guerre. Je suis arrivé à Paris à 19 ans. C'était la vie. Je ne crache pas dessus. Quand on est célibataire, c'est le paradis. Mais une fois marié avec des enfants...

M.C.: Ça perd un peu de son charme. Est-ce que ton ex-femme avait raison de craindre pour ta carrière? As-tu perdu des rôles parce que tu étais à Montréal?

L.L.: Pas du tout. Il y a eu un seul film que je n'ai pas pu faire parce que j'étais à Montréal et que je n'ai pas pu rencontrer tout de suite le réalisateur. Mais quand j'ai vu le résultat, je n'ai vraiment pas regretté...

M.C.: D'un autre côté, tu as des propositions au Québec que tu n'aurais pas si tu étais en permanence à Paris.

L.L.: C'est sûr. J'ai commencé à recevoir des propositions il y a deux ans environ. J'en ai eu quelques-unes qui n'étaient pas terribles, du style le Français que l'on traite de Français et d'enculé par la même occasion. J'étais en pleine intégration; ça ne me disait rien du tout...

M.C.: Est-ce que tu l'as vécu dans le quotidien, cet a priori québécois du «maudit Français»?

L.L.: Ça n'a pas duré longtemps. Entre le tempérament havrais et le tempérament québécois, il n'y a pas tant de différences que ça. Je ne suis pas un Parisien qui n'est jamais sorti des cinq arrondissements. Ceux-là ont vraiment du mal. Ils arrivent ici sans lâcher Paris. Les Québécois te renvoient toujours à ton côté empirique. Il n'y a que ça qui les intéresse a priori. Je n'ai pas de réflexes de Parisien parce que je ne m'y suis jamais vraiment senti chez moi. J'ai toujours aimé cette ville, mais je l'ai toujours trouvée trop belle. Avec le passé français du Québec, c'est comme si je n'avais pas de scrupules à me sentir chez moi. C'est génial et émouvant en même temps. Pour un Français, c'est bouleversant d'apprendre comment ce pays s'est fait.

M.C.: Et comment il a survécu.

L.L.: Je n'ai jamais eu de problème avec les Québécois. Mais je connais des Français qui sont repartis en disant: «Les Québécois, ils ont l'air cool comme ça, mais ils sont superficiels à mort».

M.C.: Le cliché français sur les Québécois, c'est qu'ils sont sympathiques en surface, mais qu'ils ne te laissent pas entrer dans leur intimité.

L.L.: C'est absurde. J'ai un réseau d'amis au Québec que je n'avais pas à Paris. En France, il faut prévenir avant, il faut se déplacer. C'est plus compliqué. Ici, tu peux te balader dans un quartier et arrêter sans t'annoncer chez un copain. Au Québec, on sent aussi l'Amérique. On sent la liberté. Il n'y a pas un Français qui arrive ici qui ne le sent pas. C'est inévitable. Je ne sais pas pourquoi dans le détail, mais ça se sent. Mon imaginaire d'enfant a été travaillé avec le western, Davey Crockett, Daniel Boone, les trappeurs, les hommes des bois. La première fois que j'ai fait du canoë du côté de Roberval, je me suis senti dans un décor de western.

M.C.: Quand même, dans ce portrait idyllique, il y a sans doute des choses qui t'ont déçu?

L.L.: Non. Le Québec est une société qui voit les choses, qui ne les interprète pas à outrance, mais qui les prend telles qu'elles sont, avec justesse. Alors qu'en France, les gens ne savent plus quoi penser tellement on les oblige à se déterminer sur tout. Ils sont obligés de penser quelque chose de tous les événements. Il faut donner de la matière à réfléchir à tous ces intellectuels qu'on voit partout, même dans les télé-achats. Les Bernard-Henry Lévy qui bouffent à tous les râteliers. Vraiment, je cherche, je te jure, je ne trouve rien à redire sur le Québec.