Eric-Emmanuel Schmitt est né - en tant qu'homme public - au théâtre. Succès. Il est ensuite passé au roman et au conte. Succès, encore. Avec Odette Toulemonde, il s'attaque au cinéma. Rencontre avec un touche-à-tout qui carbure à la curiosité. Et à l'optimisme.

La dame s'avance vers le romancier. Son tailleur est moche. Sa coiffure, ratée. Rougissante et bafouillante, elle tend une enveloppe à l'écrivain. À l'intérieur, une lettre écrite sur un papier du plus mauvais goût. Et un coeur en mousse d'un kitsch consommé.

La scène semble tirée d'Odette Toulemonde, la comédie fantaisiste avec laquelle Eric-Emmanuel Schmitt fait ses premiers pas de réalisateur. Elle s'y trouve, d'ailleurs. Odette, incarnée par Catherine Frot, fait la queue pendant plus d'une heure dans une librairie pour faire autographier un livre par son auteur préféré, Balthazar Balsan, joué par Albert Dupontel, devant lequel elle se liquéfie littéralement.

Mais il y a quatre ans, l'auteur de L'évangile selon Pilate a vécu ce moment. Vraiment. En Allemagne. «Il y a une Odette de base, une Odette fondamentale, une Odette inaugurale, s'amuse l'homme de lettres, de passage à Montréal. J'ai gardé l'affreux coeur de mousse parce qu'il fait partie de la réflexion qui m'a menée au scénario du film. Sur le coup, je me suis dit que je ne méritais pas une lectrice comme ça. Je voulais être lu par des gens qui ont des lettres, pas par quelqu'un d'aussi ringard. Bref, j'étais furax.»

Deux heures plus tard, à l'hôtel, par désoeuvrement et non par intérêt, il a lu la lettre. Surprise. Elle était belle, intelligente, sensible. «J'ai eu l'impression de ne pas lire la même femme que celle que j'avais vue. Je me suis alors mis à réfléchir sur les codes. Sur mes préjugés esthétiques, sociaux, culturels qui m'ont fait rejeter cette dame à cause de sa coiffure et de son tailleur. J'ai découvert un nouveau con en moi.»

Et il a décidé de le guérir. D'abord, il a répondu à cette admiratrice. Puis, il s'est mis à l'écriture. D'un scénario - qu'il a par la suite adapté... à l'écrit, pour l'inclure dans le recueil de nouvelles Odette Toulemonde et autres histoires. Pourquoi le cinéma? Par curiosité. Un «défaut» dont il souffre depuis l'enfance. «J'allais au musée, je voulais devenir peintre. J'allais voir un match de rugby, je voulais devenir joueur de rugby.»

Mais, souligne-t-il, dans un premier temps, il n'a pas pensé réaliser ce film qui raconte Odette, veuve, mère de deux grands enfants, vendeuse dans une grande surface, lectrice d'un auteur, un seul, Balthazar Balsan. Lequel traverse une crise: sa femme le trompe et son dernier livre est éreinté par la critique. Son crime: il est populaire. Son problème: il rêve d'être aimé des lettrés et des intellectuels. Mais ses lecteurs, des lectrices pour la plupart, ce sont des femmes ordinaires, les coiffeuses et les caissières - comme le lui reproche bêtement un critique virulent. Et le voilà qui, à la suite de la lecture de la lettre, débarque dans la vie et le micro-appartement d'Odette. La vie ne sera plus là même. Ni pour lui ni pour elle.

Eric-Emmanuel Schmitt a offert le scénario à plusieurs réalisateurs. Certains ont refusé. D'autres ont accepté. «Mais ceux-là réduisaient l'histoire à un seul de ses aspects: la comédie sociale, la comédie romantique, la comédie musicale, la comédie dramatique. Ils voulaient ranger mon histoire dans un genre. Je voulais du transgenre.» Il s'est donc placé lui-même derrière la caméra. À beaucoup travaillé. Découvert plusieurs bonheurs. Dont celui de travailler avec des acteurs. «C'est ce que j'ai préféré.»

Au point où, assure-t-il, il reviendra au septième art. Tout en continuant à pratiquer les deux autres, ceux où il a déjà fait ses preuves (la littérature et le théâtre). Et où, toujours, il se met au service des histoires. «Je suis avant tout un raconteur.» Un raconteur heureux. Qui regrette qu'il soit «si politiquement incorrect de parler de la joie. Bien sûr, il se commet des horreurs tous les jours mais à travers l'histoire, jamais l'être humain n'a vécu une époque aussi belle que celle que nous vivons. Pourtant, notre temps valorise le pessimisme, le présente comme étant plus intelligent que l'optimisme.»

Odette Toulemonde, le personnage comme le film, est sa contribution à l'idée contraire. Celle à laquelle Eric-Emmanuel Schmitt, lui, a foi.