Sortant tout juste d'un tournage éprouvant aux États-Unis, le cinéaste Bertrand Tavernier fait escale au festival Cinémania afin de présenter cinq des huit films qu'il a tournés avec Philippe Noiret.

Bertrand Tavernier se sent aujourd'hui en vacances dans notre coin de pays. Après avoir passé quelques mois aux États-Unis, où il a tourné In the Electric Mist, le célèbre cinéaste français est de passage à Montréal afin de soutenir la présentation, dans le cadre du festival Cinémania, de cinq de ses films dont Philippe Noiret a été la tête d'affiche.

«J'ai eu l'impression de respirer enfin en traversant la frontière, laisse tomber d'entrée de jeu le réalisateur de La vie et rien d'autre. Franchir la douane a été une délivrance!»

Bertrand Tavernier vient de terminer à La Nouvelle-Orléans le tournage de l'adaptation cinématographique du roman de James Lee Burke In the Electric Mist with the Confederate Dead, dont l'intrigue est transposée dans la Louisiane de l'après Katrina. La vedette du film est Tommy Lee Jones.

Nul besoin d'être fin limier pour comprendre que ce tournage en terre d'Amérique ne fut pas des plus heureux. Rien à voir, en tout cas, avec ceux qui ont marqué les années Tavernier-Noiret. Une collaboration riche de huit films. Laquelle, de L'horloger de Saint-Paul à La fille de D'Artagnan, s'est étalée sur 20 ans. Quelques-uns des plus beaux films auxquels l'acteur a prêté son talent ont alors été produits.

«Je peux dire que je dois ma carrière à Philippe, déclare le cinéaste. Il a cru en moi à une époque où peu de gens me faisaient confiance.»

Un même combat

La première rencontre entre les deux hommes remonte à une époque où Tavernier agissait à titre d'attaché de presse. Parmi les films qu'il appuyait, Murphy's War de Peter Yates, une production britannique dans laquelle Noiret donnait la réplique à Peter O'Toole.

«La manière avec laquelle Philippe clamait son admiration pour O'Toole me plaisait déjà beaucoup. Cela révélait quelque chose de l'homme qu'il était. Dès que j'ai écrit le premier traitement de L'horloger de Saint-Paul, j'ai tout de suite pensé à lui.»

Reconnu essentiellement au cinéma à l'époque pour avoir joué dans des comédies, dont Alexandre le bienheureux, Noiret a dès lors accordé son soutien à Tavernier, même contre l'avis de son agent.

«Pendant près de deux ans, Philippe s'est battu à mes côtés pour que le film existe, rappelle le cinéaste. Nous avons ensemble essuyé les refus de tout le monde, des rebuffades parfois même insultantes pour lui. Il s'est pourtant toujours conduit comme un seigneur!»

Fait rarissime, le deuxième long métrage de Tavernier, Que la fête commence, a connu encore plus de succès que le premier. Et jetait les bases d'un lien artistique très fécond, dans lequel la notion de plaisir a toujours été omniprésente.

«Philippe avait l'extraordinaire pudeur et politesse de toujours laisser croire que ce qu'il faisait était facile. C'était aussi un vrai bonheur de le fréquenter dans la vie», dit celui qui, forcément, a aussi partagé avec le comédien une véritable amitié.

Visiblement très ému, le cinéaste rappellera en outre à quel point l'acteur, deux semaines avant sa mort, a insisté auprès d'Anouk Aimée, avec qui il partageait la scène dans la pièce Love Letters, pour que la tournée prévue ne soit pas annulée.

«Il a choisi Jacques Weber pour le remplacer. Philippe a passé deux après-midi avec lui pour donner ses indications. Il estimait que le spectacle devait continuer, qu'il devait cela au public. Il était comme ça, Philippe. C'est vraiment quelqu'un que j'adorais. Une partie de ma vie a disparu avec lui.»

Les crétins impatients

Même s'il s'inquiète grandement de l'orientation que prend aujourd'hui le septième art, le cinéaste refuse d'affirmer que tout un chapitre du cinéma est en train de s'éteindre. «Il y a quand même un héritage, soutient-il. Personnellement, je trouve une filiation chez des acteurs comme Jacques Gamblin ou Isabelle Carré par exemple.»

Tavernier se désespère en revanche grandement de ce qu'il voit, particulièrement dans le cinéma américain. «Il y a dans ces films un mépris absolu de la vie humaine, observe-t-il. On a l'impression qu'ils travaillent pour des débiles. Ce qu'avait prédit Fellini risque maintenant d'arriver. Nous allons créer des générations de crétins impatients, à une époque où nous avons justement besoin de gens un peu intelligents pour faire face aux dangers très graves qui menacent l'humanité. On ne peut pas mener de combats, encore moins remporter des guerres, en faisant partie de ces crétins impatients!»

Précisons que le cinéaste aura l'occasion d'évoquer la mémoire de Philippe Noiret samedi au cours d'une leçon de cinéma publique.

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La rétrospective «Tavernier salue Noiret» est proposée dans le cadre de Cinémania (1er au 11 novembre au Cinéma Impérial). La leçon de cinéma avec Bertrand Tavernier a lieu samedi à 15h30 au Cinéma Impérial.