Deux tueurs irlandais planqués à Bruges. C'est bientôt Noël, mais le rouge qu'ils ont en tête n'est pas celui du costume du père Noël. Rencontre avec Colin Farrell et le réalisateur Martin McDonagh, qui ne se sont pas ennuyés au plat pays.

Colin Farrell a tellement aimé le scénario de In Bruges qu'il a recommandé à son auteur, Martin McDonagh, de ne pas l'engager pour interpréter Ray, l'un des deux tueurs à gages irlandais planqués pour quelques jours dans la cité médiévale belge après un coup qui a mal tourné à Londres.

«Je trouvais que le film et son propos seraient mieux servis par un inconnu, quelqu'un que le spectateur prendrait sans a priori, pour ainsi dire avec un regard d'enfant, avec innocence. Un visage connu teinte toujours le personnage», indiquait le comédien lors d'une rencontre de presse tenue la semaine dernière à Los Angeles.

Mais le dramaturge Martin McDonagh, qui a fait des premiers pas concluants dans le septième art en écrivant et en réalisant Six Shooter (Oscar du meilleur court métrage de fiction en 2006), ne pouvait s'enlever Colin Farrell de la tête maintenant qu'il y avait fait entrer. «Je ne pense jamais à un acteur en particulier quand j'écris mais après, quand vient le temps du casting, je me fais une idée et il est très difficile de m'en faire changer.»

Il a eu raison d'insister et Colin Farrell, d'accepter. Ce dernier pourrait renouer avec le succès (au moins, d'estime) grâce à ce film d'auteur - après Alexander d'Oliver Stone, The New World de Terrence Malick et Miami Vice de Michael Mann. Autant de films pour lesquels il a reçu plus de pots que de fleurs. Pas étonnant qu'après Miami Vice, il ait pris une pause: «J'ai vécu pendant deux ou trois mois à 180 km/h plutôt qu'à 200», rigole-t-il. Avant d'admettre que, oui, il prend la critique «très personnellement». «Mais ce n'est pas ça qui me brisera», conclut-il avec assurance.

Il faut dire qu'à la rencontre de presse, malgré le retard et les interrogations qui allaient en se multipliant au fil des minutes qui s'écoulaient - «Viendra-t-il? Viendra-t-il pas?» -, l'acteur bien connu pour ses frasques semblait particulièrement en forme. On sent que In Bruges est un projet qui lui tient à coeur. «Martin est brillant. Ses dialogues, ses personnages et les situations dans lesquelles il les place le sont tout autant. J'ai ri à quelques reprises en lisant ce scénario qui m'a aussi brisé le coeur. Je me suis attaché aux personnages. Il y a une pureté en eux. Ce qui est d'autant plus étrange que ce sont des tueurs.»

Ces personnages, ce sont Ray et Ken - lui, est interprété par Brendan Gleeson. Deux Irlandais. Qui, pour une fois, avait le droit de parler avec leur véritable accent: «Ça a été un des aspects très agréables de ce tournage, fait Colin Farrell. Quand je dois parler à l'américaine, donc m'éloigner de mon langage naturel, une barrière s'érige entre mon personnage et moi. Mon énergie change, mon attention est divisée. Alors que cette fois-ci, je pouvais me concentrer à 100% sur Ray et sur les situations, les dialogues.»

«Au départ, les rôles n'étaient pas écrits pour des Irlandais. Mais quand Colin et Brendan ont accepté de les interpréter, et que Ralph Fiennes a accepté d'incarner leur patron, à Londres bien des choses se sont placées auxquelles je n'avais pas pensé au départ», se souvient Martin McDonagh qui a découvert Bruges il y a quatre ans. «J'y ai séjourné un week-end et j'ai été inspiré par cette ville médiévale si bien conservée. Ses canaux, ses églises, son architecture gothique, ses rues étroites et pavées, tout cela me semblait très cinématographique. J'ai alors pensé à deux hommes qui seraient obligés d'y passer quelques jours, contre leur gré. La cité parlerait à l'un des deux. Pas du tout à l'autre.»

L'autre étant le Ray de Colin Farrell. «J'ai trouvé que Bruges était un endroit aussi magnifique que douloureux, note-t-il en ramassant son paquet de Camel tombé sur le sol. Il faut dire qu'il y faisait un temps formidable: il pleuvait tout le temps, il faisait noir à 16h, les rues étaient vides. En l'absence de touristes, on sentait vraiment le caractère intact des lieux. C'était beau et dramatique.»

Bruges est incontestablement le troisième personnage principal du long métrage. Le scénario de Martin McDonagh la met en relief et, carrément, en scène - rendant de plus en plus présentes ses qualités gothiques au fil d'une intrigue qui, elle aussi, se fait de plus en plus torturée et se teint d'un surréalisme inquiétant inspiré par l'art médiéval de Bosch et de ses pairs. In Bruges se fait ainsi comédie noire. Très noire. Ce qui n'a rien de surprenant pour Martin McDonagh: «C'est normal, c'est ma manière de voir le monde: je vois sa noirceur, mais je refuse de me laisser écraser par elle.»

Il n'en va pas nécessairement ainsi de ses personnages. C'est ce qui fait l'intérêt de la chose.