La surprise était de taille : samedi soir, les spectateurs du FIFA ont eu la chance de voir Jeanne Moreau arriver sur scène, quelques minutes avant la projection du documentaire qui lui est consacré. Profitant d'un tournage à Montréal, l'actrice a en effet accepté de venir présenter Jeanne M., côté cour, côté coeur, aux Montréalais.

Un petit tour, et puis s'en va. Dans les sous-sols de la Grande Bibliothèque, où avait lieu la projection, un crépitement de flashs a annoncé l'arrivée de Jeanne Moreau, suivie de près par une caméra, et entourée de la réalisatrice Josée Dayan et de la comédienne Géraldine Pailhas. Jeanne Moreau a échangé quelques mots avec les invités (parmi lesquels Guylaine Tremblay, Rémy Girard et Pascale Bussières), avant de se faufiler vers la loge, où avaient lieu quelques entrevues avec les journalistes québécois.

Mademoiselle Moreau, 80 ans, n'a rien perdu de la grâce envoûtante qui a fait d'elle l'une des comédiennes les plus célébrées du cinéma français. Que l'on pense à la Moreau de Truffaut, à la Moreau de Malle ou à la Moreau des films moins heureux (Un amour de sorcière, Roméo et Juliette, pour ne citer qu'eux), son regard vif, boudeur et enchanteur fascine toujours.

Actrice, puis sujet

Face à Jeanne Moreau, accompagnée de Josée Dayan, réalisatrice du portrait Jeanne M., côté cour, côté coeur, on entre en matière comme on peut : rapidement et maladroitement, en la remerciant d'avoir accepté l'invitation d'ARTV et du FIFA. «Je ne pouvais pas dire non! répond-elle, comme s'il s'agissait d'une évidence. C'est un film que j'ai eu grand plaisir à faire. Depuis des années, on voulait me faire raconter des choses sur mon travail, sur ma vie, et j'ai toujours refusé : le temps n'était pas venu, et je ne pouvais le faire qu'avec une personne avec laquelle je me sentirais en totale osmose.»

Cette personne, c'est Josée Dayan, réalisatrice chérie de la télé française. Cette femme forte en gueule est l'une des seules réalisatrices à pouvoir rassembler, pour un téléfilm, de grands auteurs français (Balzac, Vargas, Hugo), servis par des distributions dignes du cinéma - Depardieu père, fille et fils, Jeanne Moreau, Catherine Deneuve ou Danielle Darrieux -, ainsi que plusieurs millions de téléspectateurs.

C'est en l'amenant à la télévision pour Balzac, justement, que Josée Dayan a rencontré Jeanne Moreau il y a bientôt 10 ans. Devant la caméra de Josée Dayan, Jeanne Moreau a été Marguerite Duras (Cet amour-là) ou Mahaut d'Artois (Les rois maudits). Et la voilà qui joue son meilleur personnage dans le documentaire présenté au FIFA : elle-même.

«Josée Dayan a une connaissance cinématographique parfaite, elle m'octroie sa confiance, elle estime mon travail, et donc je me sentais tout à fait libre devant sa caméra», dit Jeanne Moreau. Jeanne M., c'est donc la Jeanne Moreau d'aujourd'hui qui revient sur son enfance montmartroise, sur ses débuts à la Comédie française et chez Jean Vilar, sur ses rencontres avec les réalisateurs...

«Je ne mène pas une carrière, c'est ma vie», répète à l'envi Jeanne Moreau, jeune comédienne, interviewée dans les années 60. Elle est l'icône de la Nouvelle Vague, la complice d'Orson Welles, la «vieille» des Valseuses... «Ce qui est fascinant, c'est que, dès ses débuts, Jeanne Moreau avait, ancrée en elle, cette éthique et cette façon de voir son métier comme n'étant pas séparé de la vie. Et c'est ça qui me bouleverse», dit Josée Dayan.

Le portrait consacré à Jeanne Moreau aurait pu s'appeler Jeanne M., par elle-même. Seule Jeanne Moreau parle de Jeanne Moreau, que l'on voit en photos, sur scène, dans ses films, en interview aujourd'hui, en interview hier, et en chansons. Elle est encore la mieux placée pour parler d'elle. «C'est emmerdant, quand c'est des gens qui disent: elle est comme ci, elle est comme ça, je la connais bien», justifie la comédienne.

«Ce que je pense de ce portrait, c'est qu'en voyant ce film, les gens qui ne la connaissent pas personnellement, qui n'ont pas la chance de la fréquenter, auront l'impression d'avoir passé un moment avec elle», croit Josée Dayan.

Et l'on ne peut que donner raison à Josée Dayan. En sept minutes d'interview et quatre questions, il est difficile de se vanter d'avoir tapé un brin de causette avec Jeanne Moreau. Reste, pour se consoler, le portrait d'une comédienne hors du commun, presque hors du temps, qui a su marquer plusieurs générations grâce à des films inoubliables... et aussi grâce à des films oubliables.

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ARTV diffusera Jeanne M., côté cour, côté coeur, en mai.