Où sont les Denzel Washington, Forest Whitaker, Wesley Snipes ou Halle Berry français? Les comédiens noirs peinent toujours à trouver leur place dans une fiction française désespérément «blanche», s'inquiètent, dans le cinéma et au-delà, un certain nombre de voix.

«Les blockbusters américains avec des stars comme Will Smith ont un grand succès en France. Le public n'a aucun problème à voir des Noirs à l'écran, alors pourquoi les fictions françaises sont-elles si «blanches»?», s'interroge Amirouche Laïdi, président de l'association Averroes, qui défend le respect des minorités dans les médias.

Conscient du problème, le Centre national de la cinématographie a créé début 2007 la Commission images de la diversité, qui a versé 4,6 millions d'euros de subventions à 175 oeuvres (documentaires, fictions...) mettant en avant la «diversité de la société».

Mais la majorité des oeuvres financées n'auront qu'une diffusion restreinte, régionale ou locale, sur France 3 ou RFO, ou encore sur des petites chaînes du satellite et du câble.

En outre, malgré les progrès marqués à la télévision, les «minorités visibles» sont souvent représentées de façon «stigmatisante et dévalorisante», en tant que «victimes, délinquants ou sauvages», estimait en juin 2000 la sociologue Marie-France Malonga dans un rapport rédigé pour le Conseil supérieur de l'audiovisuel.

«Où sont les fictions où l'on voit un cadre noir déjeuner avec sa femme et ses enfants avant d'aller au travail? Cette scène typique, cette image du bonheur, est inaccessible aux Noirs et aux autres minorités aujourd'hui en France», dénonce Patrick Lozès, président du Conseil représentatif des associations noires (Cran).

«À quand des rôles pour les Noirs?» demandait fin juin, dans une tribune publiée par l'hebdomadaire Le Nouvel Observateur, la cinéaste Éliane de Latour, selon laquelle «financement, production et distribution sont difficiles à trouver» en France, «dès que les premiers rôles sont tenus par des Noirs».

«Ce n'est pas du racisme mais de la frilosité : producteurs et distributeurs de cinéma sont persuadés que ces films ne marcheront pas», explique-t-elle.

Personne n'investissait sur un film avec des comédiens d'origine maghrébine pour têtes d'affiches, avant le succès de Djamel Debbouze, note-t-elle.

La seule actrice noire à tirer son épingle du jeu est la très belle Aissa Maiga, d'origine sénégalo-malienne.

Pour Amirouche Laïdi, les producteurs «ne veulent pas prendre de risques, par peur de déplaire aux chaînes de télévision», leurs premiers financeurs.

Anne Jacqueline, qui fut administratrice de l'école franco-américaine de cinéma et de théâtre (FACT) de 1996 à 2005 à Paris, connaît bien l'angoisse éprouvée par les apprentis acteurs «Français de toutes origines, pas blancs».

«Au début des années 1990, les comédiens qui n'étaient pas blancs, quelles que soient leur valeur et leurs compétences, ne trouvaient aucun travail. Ils étaient toujours trop foncés pour les rôles», se souvient-elle. «Beaucoup ont abandonné. On se lasse d'être systématiquement rejeté».

Et dans le doublage - où la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l'égalité (Halde), saisie en février 2007, enquête sur les pratiques d'une entreprise -, les voix des comédiens noirs sont fréquemment refusées, y compris pour doubler des acteurs noirs, rapportent plusieurs sources.

Sur initiative du Cran, les premiers Tromphées du monde noir de la musique, du cinéma et de la littérature seront remis le 23 septembre à Paris à des artistes issus des cultures afro-caribéennes, en présence notamment du Prix nobel de littérature Derek Walcott, et du chanteur Lionel Ritchie.