Satire ou islamophobie? En pleine controverse autour des caricatures danoises, l'hebdomadaire satirique français Charlie Hebdo, titre, en février 2006: «Mahomet débordé par les intégristes: C'est dur d'être aimé par des cons.»

Des associations islamiques portent l'affaire devant la justice. Un an plus tard, c'est le procès. Dans C'est dur d'être aimé par des cons, Daniel Leconte raconte.

«Avec le procès, les associations musulmanes (La Mosquée de Paris, l'Union des organisations islamiques de France et la Ligue islamique mondiale) nous ont donné l'occasion de nous exprimer, de ne pas nous censurer. Et pendant 48 heures de procès, c'est un vrai festival Charlie Hebdo», prévient le journaliste, réalisateur et producteur Daniel Leconte.

La manchette de Charlie Hebdo aura en effet suscité des effets de toge dans les prétoires comme dans le film. C'est dur d'être aimé par des cons revient sur les échanges entre les témoins et avocats des deux parties, mais aussi sur ceux, survoltés, du public réuni dans la salle des pas perdus du tribunal lors des deux journées d'audience.

Daniel Leconte avait, lors du procès, lui-même volé à la rescousse de Charlie Hebdo. Sans surprise, son film prend la défense de Charlie, au nom de la liberté d'expression, et ne présente les points de vue de la partie adverse que par la voix de leur avocat, le très talentueux maître Szpiner, par ailleurs ancien conseiller de Jacques Chirac.

À cette remarque, Daniel Leconte se défend. «Mais comment voulez-vous équilibrer la parole quand Charlie Hebdo présente 12 témoins et que les musulmans n'en présentent qu'un? Le déséquilibre est inhérent à la stratégie qu'ont choisie les parties musulmanes. Elles n'ont présenté que le point de vue de leur avocat.»

Appuyé tant par d'éminents représentants de la société intellectuelle parisienne - Elizabeth Badinter, Claude Lanzmann - que par des intellectuels musulmans modérés - Mohamed Sifaoui - et des politiques en pleine campagne présidentielle - Nicolas Sarkozy, François Bayrou -, Charlie Hebdo gagne la partie. «Sur le terrain de l'argumentaire, la messe est dite, si je peux me permettre», s'amuse Daniel Leconte.

Un silence malsain

Pourtant, les soutiens massifs apportés à Charlie tranchent avec le malaise, voire le silence, suscité lors de la parution des caricatures. «Ceux qui sont flamboyants quand il s'agit d'enfoncer des portes ouvertes, de critiquer une fois Sarkozy, une fois Royal, sans aucun risque évidemment, ces mêmes gens se taisent quand il y a une vraie question centrale», constate Daniel Leconte.

Ce malaise, Daniel Leconte le perçoit dès les débuts de la production de son film, qu'il destine d'abord à la télévision. Mais ses partenaires habituels refusent le projet. «Je sens alors quelque chose de sale, de l'ordre de la lâcheté collective sur un sujet pareil. Cela me met dans une colère noire», se souvient-il. Il produit son film seul, pour le cinéma. La fin du procès apaise les consciences, et le film se retrouve même à Cannes.

Aujourd'hui, Daniel Leconte croit que le procès, comme la relaxe de Charlie Hebdo, a permis «de déconstruire cette affaire». «J'ai été témoin de ça. Le procès a finalement libéré les dessinateurs qui se posaient des questions sur les musulmans», note le journaliste.

Comme la plaidoirie de la défense lors du procès, le film fait une anthologie des dessins les plus corrosifs publiés par Charlie Hebdo depuis sa création - des défécations dans les bénitiers au revolver dirigé sur la tête de l'enfant Jésus. «On passe notre temps à botter le cul des catholiques, et on est 10 fois plus méchants avec eux qu'avec les musulmans», conclut le journaliste.

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C'est dur d'être aimé par des cons prend l'affiche aujourd'hui à Ex-Centris. Il sort vendredi à Montréal, Sherbrooke, Gatineau et Québec.