Dans son premier long métrage, Catherine Veaux-Logeat remonte le destin de Nadine Bari, une Française dont la vie s'est brisée en 1972. Son mari, Abdoullaye, haut fonctionnaire dans la Guinée nouvellement indépendante, disparaît. C'est une victime de plus du régime sanguinaire de Sékou Touré. Nadine Bari commence alors un long combat pour savoir ce qui est arrivé à son époux. Il lui faudra 19 ans pour découvrir la vérité sur une disparition qui était devenue, dans les années 80, emblématique. Nadine Bari vit aujourd'hui en Guinée, où elle continue de témoigner. Elle est l'auteure de plusieurs livres (Grain de sable, notamment) et la fondatrice d'une ONG. Hier encore, je t'espérais toujours a été présenté en France, en Guinée, et lors des RIDM, à Montréal.

Q Votre film s'intitule Hier encore, je t'espérais toujours. À quoi le titre fait-il référence ?


R Il fait appel à la littérature de Nadine Bari puisque c'est une phrase tirée de son livre. J'ai aussi voulu donner ce titre au film pour faire référence au travail de deuil des familles de disparus : un deuil presque impossible à faire. Il y a l'urgence de voir le corps ou la tombe de son mari : on a toujours espoir tant que l'on n'a pas vu la tombe ou le corps. Alors Nadine n'a jamais cessé d'avoir de l'espoir pour son mari.

Q Comment voyez-vous Nadine Bari ?

R C'est une combattante, une femme de justice, qui n'a jamais eu peur de parler politique. Elle ne pouvait pas rentrer en Guinée tant que le dictateur Sékou Touré était au pouvoir. Elle l'avait rencontré en France et avait d'ailleurs refusé de lui serrer la main, ce qui l'a rendue célèbre. Quand il est mort, elle est rentrée en Guinée et avec les autorités, elle a recherché les tortionnaires, les témoins. Elle s'est heurtée à un mur de silence : elle a vu que les gens ne parlaient pas, qu'ils avaient encore peur.

Q Vous avez choisi de suivre exclusivement l'histoire de Nadine Bari. Pourquoi ?


R Je pense qu'un personnage, en fiction comme en documentaire, doit être le porte-parole d'une cause. Nadine Bari est très inspirante. Son amour pour la Guinée est hors du commun. Je crois que l'on peut passer les choses par un personnage attachant. Nadine Barri le fait très bien, au nom des femmes de disparus. Non seulement dans sa vie de tous les jours, mais aussi dans sa littérature. Ses livres ont une portée, elle a engendré beaucoup d'espoirs chez les Guinéens. En m'attardant à son histoire, je dresse le portrait de plusieurs histoires de femmes.

Q Comment avez-vous rencontré Nadine Bari ?

R J'étais en Guinée, en 2005, je faisais de la danse. Elle faisait, elle, une tournée pour ses livres. Elle continue encore la lutte. On l'appelle Maman, Tantie, elle aime les Guinéens, a fondé une ONG pour aider les femmes et les démunis en Guinée. On m'a dit que j'étais très chanceuse : beaucoup souhaitent rencontrer celle qui a refusé de serrer la main de Sékou Touré.

Q En quoi ce documentaire s'inscrit dans une filmographie ?

R Je n'ai fait, jusqu'à maintenant, que des courts. Mais j'ai souvent fait des portraits de femmes qui n'avaient pas eu la chance d'avoir la parole. J'ai le souci du dialogue entre générations, j'ai envie d'écouter nos aînés. Je pense que ce film s'inscrit complètement dans ma démarche : cette femme parle d'une époque qu'on met sous silence. Or, les jeunes ont besoin de savoir. En présentant le film à Conakry, j'ai vu à quel point c'est important pour les jeunes de savoir ce qu'il s'est passé.