Oubliez Leonardo DiCaprio et George Clooney. Les Québécois amateurs de plateaux de tournage doivent désormais se contenter de vedettes locales.

Depuis cinq ans, les studios hollywoodiens délaissent les plateaux québécois à un rythme inquiétant, si bien que le chiffre d'affaires des productions étrangères au Québec a diminué de 70 %. Cette baisse a coûté 9100 emplois au Québec durant cette période, dont 2400 l'an dernier.

L'industrie du cinéma et de la télé a subi un recul dans les autres provinces, mais la chute a été beaucoup moins dramatique en Ontario (-36 % depuis cinq ans) et en Colombie-Britannique (-5 % depuis quatre ans). Au Québec, le chiffre d'affaires des productions étrangères est passé d'un sommet de 399 millions à 120 millions entre 2003 et 2008. L'an dernier, le Québec a atteint le fond du baril avec seulement cinq productions étrangères.

Les raisons de cette dégringolade sont multiples. «Pendant cette période, le dollar canadien a atteint la parité avec le dollar américain, dit Christine St-Pierre, ministre de la Culture et des Communications du Québec. La chicane entre les syndicats canadiens et américains a aussi freiné la venue de productions américaines au Québec.»

Les syndicats canadiens tentaient de faire reconnaître leur juridiction sur les plateaux de tournage étrangers depuis 2005. Le gouvernement Charest a tranché le mois dernier en adoptant une loi en faveur des syndicats américains. Les syndicats canadiens conservent leur juridiction sur les longs métrages produits au Canada. «Partout au Canada, les producteurs américains font affaire avec le même syndicat américain, dit Claire Samson, PDG de l'Association des producteurs de films et de télévision du Québec. C'était important d'avoir la même chose au Québec.»

Concurrence mondiale et nationale

Le monde syndical a peut-être bon dos, mais il n'est pas le seul responsable des déboires de l'industrie québécoise du cinéma et de la télé. «Le Québec a subi la concurrence de plusieurs États américains ainsi que des pays de l'Europe de l'Est, de l'Australie et de l'Afrique du Sud, qui voulaient aussi accueillir des productions de Hollywood, dit Daniel Bissonnette, commissaire du Bureau du cinéma et de la télévision de Montréal. La tarte est restée la même, mais il y avait plus de gens autour de la table.»

Le Québec n'a pas besoin de regarder à l'autre bout du monde afin d'observer un resserrement de la concurrence. Sa voisine immédiate, l'Ontario, a inauguré le mois dernier le plus grand plateau de tournage intérieur en Amérique du Nord, un joyau de 48 000 pieds carrés situé dans le port de Toronto. D'où le nom du complexe: Filmport. «Nous espérons que ces studios vont permettre d'attirer les plus grandes productions américaines, même si notre réputation est déjà excellente à Hollywood», dit Donna Zuchlinski, commissaire du cinéma à la Société de développement de l'industrie des médias de l'Ontario.

Le commissaire du Bureau du cinéma et de la télévision du Québec, Hans Fraikin, doute que les plateaux de Filmport donnent un avantage concurrentiel à l'Ontario. Hans Fraikin préfère encore la Cité du cinéma de Montréal - communément appelée les studios Mel's en l'honneur de son fondateur, Mel Hoppenheim -, qui compte à son palmarès des films comme The Aviator, 300 et The Day After Tomorrow. «Filmport est une coquille vide, dit-il. Il est vide depuis son ouverture il y a un an et demi, au point où une partie du studio a été vendue au secteur privé. Les Ontariens ont ouvert leur studio au pire moment au plan économique.»

L'industrie ontarienne du cinéma n'a pas seulement des plateaux de tournage tout neufs. Elle compte aussi un allié bien placé à l'hôtel de ville de Toronto. Pour The Incredible Hulk, tourné dans la Ville reine en 2007, le maire David Miller a fermé plusieurs rues du centre-ville afin de faciliter le tournage. Une décision à la fois économique et sentimentale: le maire Miller, qui préside le conseil d'administration du Bureau du cinéma et de la télévision de Toronto, était un fan de la bande dessinée durant son enfance...

Les productions québécoises en hausse

Alors que les producteurs de Hollywood délaissaient le Québec, on n'y a jamais tourné autant de films d'ici.

Durant l'année financière 2007-2008, les films québécois ont généré des revenus de tournage de 119 millions, selon les chiffres de l'Association canadienne de production de films et de télévision. Le Québec a ainsi obtenu 43 % de la valeur des productions cinématographiques canadiennes - un sommet au pays. En comparaison, l'Ontario a obtenu des revenus de 119 millions et 38% du budget de production des films canadiens.

Au petit écran, l'Ontario, avec 776 millions et 38 % des parts de marché des productions canadiennes, devance encore le Québec, qui retire 726 millions et 36 % des parts de marché. «Le gouvernement québécois a ajouté de l'argent pour le cinéma et la télévision d'ici, ce qui a permis de tourner davantage de films et d'avoir des budgets plus importants», dit le commissaire montréalais Daniel Bissonnette.

Un retour imminent des vedettes hollywoodiennes?

Les productions québécoises n'ont toutefois pas réussi à combler pleinement le vide laissé par le départ de plusieurs productions hollywoodiennes depuis cinq ans.

Mais depuis un mois, le propriétaire de Location Michel Trudel - La Cité du Cinéma a bon espoir que les vedettes hollywoodiennes reviennent bientôt à la Cité du cinéma, qui a subi une baisse de fréquentation de 60% depuis 18 mois. En effet, le mois dernier, le gouvernement du Québec a bonifié ses crédits d'impôt: le crédit de 25 % est désormais applicable à l'ensemble des frais de production, pas seulement aux salaires de la production. «Quarante-quatre états américains avaient déjà adopté cette formule (all expenses spent), dit Michel Trudel. Grâce à la décision du premier ministre Charest, qui a voulu aider notre industrie, nous sommes à nouveau concurrentiels.»

La ministre Christine St-Pierre est tout aussi optimiste quant au sort des productions américaines au Québec. «Nous avons réglé la question des syndicats et des crédits d'impôt, alors je crois que ça devrait reprendre», dit-elle.

Signe que les temps sont difficiles dans l'industrie québécoise du cinéma, la ministre de la Culture, qui a prêté serment en décembre 2008, n'a jamais visité un plateau de tournage d'une production américaine. Maintenant que le débat syndical est réglé et que les crédits d'impôt ont été bonifiés, la ministre St-Pierre espère pouvoir le faire très bientôt. Surtout si Leonardo DiCaprio ou Brad Pitt est en ville. «Ce serait une bonne idée», dit-elle en riant.