Steven Soderbergh et son Che, Xavier Dolan et son J'ai tué ma mère en témoignent: de nouvelles caméras, maniables et pas chères font chuter les coûts de production. L'arrivée de caméras accessibles à toutes les bourses fait-elle rêver nos cinéastes?

Il n'a pas de distributeur, peu de moyens, et pourtant, le réalisateur Dominic Marceau a tourné son deuxième long métrage cet été avec de grandes ambitions. «On veut soumettre le film aux festivals. Ce n'est pas Blair Witch Project: on a des ambitions assez grandes pour ce projet», explique-t-il.

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Rencontré dans la moiteur d'une matinée d'août, Dominic Marceau insiste sur l'esthétique de son film nocturne (voir encadré). «On veut mettre le paquet visuellement «, dit-il. Et pourtant, ce n'est pas une caméra comme les autres que manipule D.J. Matrundola, son partenaire, mais un appareil photo aux capacités vidéo «révolutionnaires », sorti ce printemps (le Nikon D 5000, ndlr).

«J'ai acheté la caméra plusieurs semaines avant le tournage. Je l'ai donné à D.J et je lui ai dit : learn it. Il a fait des tests pendant cinq semaines pour l'utiliser à son plein potentiel. Quand il m'a montré les images, j'ai compris que c'était un game changer : quand les gens vont comprendre ce qu'elle peut faire, ça va changer les choses », prophétise Dominic Marceau.

Sur un autre plateau de film indépendant actuellement en tournage, Marc-André Lavoie (Bluff) fait le même constat. Son deuxième long-métrage, Y en aura pas de facile, est tourné entièrement avec l'appareil photo Mark II 5D de Canon. « On avait fait un grand pas au début des années 2000 avec la mini-DV, mais cela restait semi-professionnel. Avec ces caméras (comme la Canon), on a vraiment un style plus cinématographique», explique Lavoie.

Avec les contraintes de production que connaissent les réalisateurs confirmés comme les néophytes du cinéma, ces appareils, disponibles pour quelques milliers de dollars, permettent de tourner un court ou même un long métrage sans hypothéquer sa maison. « Pour des films indépendants, c'est l'idéal», dit Simon Olivier Fecteau, coréalisateur de Bluff, qui a aussi acheté l'une de ces caméras au début de l'année.

« C'est un secret de Polichinelle. Chez le consommateur régulier, l'engouement est en marche, on commence à apprivoiser ces appareils. Tandis que chez les professionnels, c'est l'engouement », observe Georges Aubin, spécialiste en photo numérique des magasins L.L. Lozeau.

« C'est vraiment du haut calibre : on utilise des lentilles photo sur ces caméras qui ont une précision extrêmement plus définie que celles des caméras vidéo HD. Pour avoir la même qualité en vidéo, il faut aller chercher des objectifs de 10 000 ou 12 000 $», détaille M. Aubin.

Pas la première révolution

En accessibilité, les appareils photo faisant de la vidéo ne constituent pas la première révolution.

Après l'arrivée de la mini-DV au tournant des années 2000, c'est la commercialisation de la RED, en 2007, qui avait chamboulé réalisateurs et producteurs. Sensiblement plus onéreuse que les appareils photo mais largement moins chère que les caméras numériques professionnelles, la RED a su séduire Hollywood, avec sa polyvalence et son esthétique plus proche de la pellicule. Steven Soderbergh a tourné Che avec cette caméra ; Neil Blomkamp District 9. Pour Wartime, Tod Solondz (Happiness) a également fait appel à cette technologie.

Le Québec a aussi cédé à la tendance. François Delisle (Deux fois une femme), Pierre Gill (Fakers), Xavier Dolan (J'ai tué ma mère) et Martin Villeneuve (Mars et Avril) ont tourné avec la RED leur dernier long-métrage. La perspective d'une économie substantielle n'a également pas échappé aux boîtes de pub ou de clips, ni aux maisons de production de cinéma.

« C'est très connu dans le milieu : ça prétend démocratiser la production. La caméra est maniable, pas chère, la résolution est très élevée », énumère André Rouleau, de Caramel Films.

Le producteur concède avoir non seulement tourné « de plus petits projets » avec la RED (Webcam, par exemple) mais aussi l'avoir envisagée pour des projets plus ambitieux tels que Polytechnique, de Denis Villeneuve. Les essais pour Polytechnique avaient été peu concluants, raconte le directeur photo Pierre Gill.

« Ce n'était pas intéressant pour ce que l'on faisait. Les extérieurs sont beaucoup moins beaux qu'en film, tu ne peux pas tourner au ralenti », poursuit-il, citant des difficultés en ce qui concerne la lumière, le maquillage mais aussi la post-production avec la RED.

« Le film est encore le médium le plus joli, qui a le plus de sensibilité, le plus de latitude», croit-il.

Tout n'est pas rose dans la RED ou dans les nouvelles générations de caméras photo et vidéo. L'attachement à la pellicule reste encore vif, même parmi les jeunes réalisateurs. « Il reste que les plus beaux films sont ceux tournés en pellicule », soutient Maxime Giroux, réalisateur de longs (Demain) et de publicités. « J'étais à l'aise en HD comme en mini-DV, mais la mort de la pellicule s'en vient. Je veux saisir la chance de tourner en film : c'est maintenant ou jamais », dit Rafaël Ouellet (Le cèdre penché, Derrière moi).

Spécialiste de la RED, Étienne Caron a pu constater l'intérêt grandissant du milieu pour cette nouvelle technologie.

L'avenir, toutefois, n'appartient pas aux équipements les plus performants, mais bien, démocratisation oblige, aux plus simples à utiliser.

« L'avenir n'est pas dans tout ce qui est technologique. Tout le monde est rendu égal. L'avenir est dans ce qui est user friendly », promet-il.