Pièce fondamentale dans la filmographie de Rodrigue Jean (Yellowknife, Full Blast ou Lost Song), Hommes à louer est le portrait réaliste de la prostitution de jeunes hommes à Montréal. Le réalisateur acadien a passé un an dans le Centre Séro Zéro. Hommes à louer est le récit, chronologique, des conversations de Rodrigue Jean avec 12 jeunes prostitués.

De l'automne au printemps, Rodrigue Jean a installé sa caméra dans le centre Séro Zéro, dans l'est de Montréal. Les hommes s'y succèdent, et s'ouvrent, d'abord avec réticence, au réalisateur. Leur passé, leur goût pour les «roches», la cocaïne ou le pot, les mènent à la rue. «La prostitution est une conséquence: ce n'est pas la cause de rien», observe Rodrigue Jean.

«Je me suis enligné sur la prostitution pour me suicider», lâche l'un des «hommes à louer». D'autres évoquent le kick. «Faire de l'argent avec son corps, c'est possible et même facile», dit l'un d'eux, avant de mettre en évidence le cercle vicieux que nourrit la prostitution: «Vu que c'est facile, c'est dur pour moi d'aller travailler.»

«Toute ma vie, j'ai connu des gens qui faisaient de la prostitution, raconte Rodrigue Jean. C'est un milieu que j'ai abordé par hasard, dès que je suis arrivé en ville. J'imagine que cela m'a toujours intéressé parce que les gens qui font de la prostitution ont accès aux gens derrière leurs apparences. Ils les voient dans leurs désirs les plus élémentaires.»

C'est d'abord à Londres, où il a vécu, que Rodrigue Jean a l'idée de faire un film sur la prostitution masculine, dans un centre également. Le projet tombe à l'eau, mais Rodrigue Jean passe plusieurs années dans ce centre. «Les gens dans la prostitution ont une grande compassion pour les gens avec qui ils travaillent», constate Rodrigue Jean.

Hommes à louer reflète l'aisance certaine de Rodrigue Jean face à ses interlocuteurs. «C'est plus un dialogue», dit-il. Au cours des mois et du tournage, la caméra, d'abord fixe, bouge et se rapproche des visages. «Je souhaitais que le dispositif se défasse: ça s'est fait tout seul. C'est vraiment devenu une conversation.»

La parole se libère aussi et les interviewés livrent un regard introspectif, frappant de lucidité sur leur vie. «J'ai l'impression que plus on est loin du pouvoir, plus on a un regard clair sur les choses. Les gens qui sont rejetés, qui n'ont pas accès à la richesse, n'ont rien à perdre», poursuit Rodrigue Jean.

Hommes à louer témoigne des préoccupations du réalisateur. Celle, d'abord, de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. «Mon background étant en sociologie et étant acadien, je me suis toujours intéressé aux paroles minoritaires», dit-il. Le documentaire partage aussi avec son dernier long métrage de fiction (Lost Song) une inquiétude envers le sort réservé à la jeunesse.

Toutefois, Hommes à louer est le premier film que Jean réalise sans produire. «Pour la première fois de ma vie, je ne suis pas propriétaire de mon film. Ça a été la plus grande erreur de ma vie», affirme-t-il.

Après deux ans de bataille avec ses producteurs (Informaction-ONF) quant au montage final du film, Hommes à louer peut enfin sortir, samedi prochain, à Montréal et à Québec.

«En cinéma, j'avais fonctionné comme tous les artistes: on présente un projet, et le réalisateur a des droits. C'est la première fois que je me retrouve dans une situation industrielle avec un projet qui ne l'est pas du tout. Ça forme une réflexion sur la politique du cinéma, dit-il. Brecht disait qu'un homme seul ne peut rien contre la machine, et ça, c'est vrai.»