Première star médiatique de la scène québécoise, Michel Louvain roule sa bosse depuis plus d'un demi-siècle. Loin de s'atténuer, la passion de ses milliers de fans n'a d'égale que sa détermination à continuer, tant et aussi longtemps qu'il aura la santé. «J'aimerais être le Charles Aznavour du Québec et chanter au Capitole à 85 ans», avoue-t-il.

Qui dit Michel Louvain dit La dame en bleu, la chanson qui lui colle littéralement à la peau depuis 1976 et qu'il a failli ne jamais enregistrer. Claude Demers l'a reprise, au pluriel, pour le titre de son documentaire où le cinéaste mesure l'ampleur de la popularité du crooner à travers la passion que lui portent cinq irréductibles admiratrices.

Lauraine Campeau, Nicole Dupuis-Beaupré, Margot Jasmin, Denise Lapierre et Thérèse Longpré, choisies parmi 200 candidates ayant répondu à une annonce dans un quotidien, confient dans Les dames en bleu (à l'affiche la semaine prochaine) leur amour-passion pour le chanteur. L'une d'elles a accroché sa photo au-dessus de son lit, à côté de celle de son mari, et prévoit en apporter une dans sa tombe.

Amour-passion, vous avez dit?

L'objet de ces marques d'affection dignes d'un saint reste bouche bée. «C'est de la passion, tu peux rien dire contre ça, confie-t-il au Soleil. Tout ce que je peux dire, c'est que je suis heureux de voir tous ces gens qui m'aiment et qui sont passionnés à ce point. Mais entendre dire : "Je veux partir avant lui, je ne pourrais pas vivre s'il part?"... Mon Dieu! Quand j'ai entendu ça dans le film, je suis rentré dans mon fauteuil. Je ne pensais pas que c'était aussi fort.»

Les dames en bleu a inauguré la semaine dernière le Festival du nouveau cinéma (FNC) de Montréal. L'accueil enthousiaste reçu pour l'occasion fait dire à Claude Demers que, pour la première fois, l'élite québécoise a véritablement saisi l'ampleur du phénomène Michel Louvain. Fini le snobisme déplacé, selon lui. À preuve, même les Lost Fingers et les Porn Flakes ont chanté avec lui.

«Le FNC, ce n'est pas un festival de has been. C'est un festival de découvertes. Le programmateur [Claude Chamberlan] a eu un coup de coeur pour le film. On a compris l'impact de Michel Louvain sur la société québécoise. Au party qui a suivi la projection, les filles faisaient la file pour se faire photographier avec lui. Elles aussi étaient tombées sous le charme. [...] Il existe un certain snobisme de la part d'un certain milieu, mais j'ose espérer que le film saura faire tomber ces barrières. Pour ses 50 ans de carrière, des journalistes bien-pensants sont allés le voir en spectacle et se sont mis à taper des mains et à triper comme le public.»

Adoration

C'est lors du tournage de son documentaire précédent, Barbiers: une histoire d'hommes, que Claude Demers a eu l'idée de son film. De passage au salon de coiffure que fréquente Michel Louvain, le cinéaste a été soufflé par l'accueil qu'on lui a réservé. Jusque-là, il n'était pas particulièrement fan du chanteur. Comme beaucoup de monde, il avait entendu quelques-unes de ses chansons.

«J'ai vu la star, assise dans un salon de coiffure, avec tous ces regards braqués sur lui. J'ai tout de suite voulu l'interviewer pour mon documentaire pour mieux le con­naître. Au bout du compte, cette séquence n'est pas restée dans le film, mais l'idée était lancée.»

En parallèle à l'histoire personnelle des cinq admiratrices, le réalisateur a suivi Michel Louvain à la trace pendant plusieurs mois. Au Festival rétro de Joly, par exemple. «Michel est arrivé à 10h pour le sound check. Il faisait gros soleil, c'était humide, mais après une heure et demie de spectacle, vers 16h, Michel est allé signer des autographes et se faire prendre en photo avec le public. Faut le faire. Il n'y aurait pas cette adoration du public si Michel ne leur donnait pas quelque chose.»

Pas de retraite à l'horizon

À 72 ans, le chanteur natif de Thetford Mines ne voit pas le jour où il prendra sa retraite. L'amour de la scène et celui qu'il reçoit de ses fans le comblent autant qu'à ses premiers jours, sinon davantage. «Je suis heureux quand je chante. C'est une belle drogue, une belle drogue. Tant que j'aurai la santé, je ne suis pas prêt d'accrocher mon micro. Ça m'apporte du bonheur, mon public. Je lui donne de l'amour avec mes chansons, mais lui aussi m'en apporte, il ne faut pas l'oublier. Quand t'as 900 personnes dans une salle qui crient, je te dis que ça te rentre là [il croise les deux mains sur la poitrine]. C'est inexplicable. Quand tu reviens dans ta loge, tu flottes sur un nuage.»

«En tout cas, poursuit-il, la retraite ne sera pas l'année prochaine parce que je suis booké jusqu'en novembre 2010. Je ne sais pas ce que je ferais si j'arrêtais. Non, non... Je suis sûr que Jean-Pierre [Ferland] a encore la piqûre. Il n'arrête pas, même s'il ne fait plus de spectacles. On dirait qu'il va recommencer.»

Longtemps boudé par l'«intelligentsia» du monde artistique, Michel Louvain a été honoré par l'ADISQ seulement l'an dernier pour son demi-siècle de carrière. De toute évidence, il préfère ne pas s'étendre sur le sujet. «Ç'a été par politesse...» répond-il laconiquement, en baissant le regard. Un ange passe.

Le mot de la fin appartient à Claude Demers. «Je n'ai pas la réponse à la fascination populaire pour Michel Louvain, sinon qu'il a une dévotion pour son public. Tirez les conclusions que vous voulez, mais Michel was there, still there et will be there