Le réalisateur est un peu comme un chef d'orchestre, si bien que réaliser un film est à la fois un rêve et un défi. Imaginez maintenant être quatre derrière une caméra et vous aurez une petite idée de l'exercice d'humilité vécu par Fabrice Barrilliet, Nicolas Bolduc, Julien Knafo et Marie Hélène Panisset, qui signent ensemble leur premier film, Lucidité passagère, adapté de la pièce de Martin Thibaudeau.

On connaît assez bien le principe du film à sketches, qui permet à plusieurs réalisateurs de rassembler leur travail, tout en gardant leur indépendance puisqu'ils sont responsables de leur «segment». Un bon exemple est Cosmos, qui réunissait la nouvelle génération de cinéastes des années 90.

La formule est tout autre pour Lucidité passagère, qui se veut un film choral filmé par quatre cinéastes, mais sans rupture de ton. Chacun d'eux a réalisé la partie du film qui concernait son personnage et travaillé à d'autres fonctions pendant le tournage des autres, sans interférer dans leur travail. Ainsi, outre la réalisation, Nicolas Bolduc était directeur photo, Julien Knafo s'occupait de la bande sonore, tandis que Fabrice Barrilliet et Marie Hélène Panisset agissaient comme producteurs.

Bien malin le spectateur qui pourrait deviner qui a filmé quoi. D'ailleurs, ils ne veulent pas le dire. «On voulait faire un film organique, explique Fabrice Barrilliet. C'est pourquoi les décisions les plus importantes ont été prises en préproduction.» «Au montage, nous avons tous dû faire des sacrifices pour respecter l'ensemble», ajoute Marie Hélène Panisset.

Ce qui a aidé est qu'ils sont amis depuis une dizaine d'années, depuis le cégep ou l'université pour certains. Ils ont travaillé sur les plateaux, dans la pub, réalisé des courts métrages, sans jamais oublier de se donner du boulot les uns les autres quand c'était possible. En voyant la pièce Lucidité passagère de Martin Thibaudeau, ils ont rapidement vu le potentiel d'un film en commun, et leur projet a été accepté dès le premier dépôt à la SODEC.

Survivre à quatre patrons

Dans le film, nous suivons la trajectoire de différents personnages à un moment crucial de leur vie. Véronique (Hélène Florent) est une sculptrice qui sabote toutes ses rencontres amoureuses en révélant son «terrible» secret; Rémi (Daniel Parent) a besoin d'un peu moins de sécurité avec sa blonde (Maxim Roy) et d'un peu plus d'art dans son existence; Fred (Érik Duhamel) n'arrive pas à se faire aimer pour ce qu'il est puisqu'il veut trop plaire; Mathieu (Mario Saint-Amand), qui travaille auprès des enfants malades, est tout simplement au bout du rouleau... Bref, la typique crise de la trentaine qui débouche ou non sur un tournant, et chaque personnage aura un rôle insoupçonné à jouer dans la vie des autres.

Est-ce inquiétant pour une actrice de se lancer dans un projet de film réalisé à quatre paires de mains? «Pas vraiment, dit Hélène Florent. Je trouvais l'idée le fun, et ils ont fait leurs devoirs avant de tourner. L'impression que nous avons ressentie est que nous étions responsables de nos personnages, qui devaient être cohérents d'une scène à l'autre.»

Érik Duhamel était le seul comédien à avoir fait partie de la distribution de la pièce. Il a apprécié le fait que le film ne sente pas «l'adaptation» et que l'expérience soit entièrement cinématographique. «Il y a beaucoup de changements de la pièce au film, qui met en relief des choses qui étaient secrètes dans la pièce, des émotions qu'il faut expliquer sur scène, et qu'on n'a qu'à montrer au cinéma.»

«J'ai l'impression d'avoir fait trois films en un, raconte Daniel Parent, le seul à devoir tourner avec trois réalisateurs. Il fallait être raccord!» «C'est un film qui aurait pu être monté en dents de scie, mais ils se sont donné chacun un rôle important dans la production, alors ça s'est très bien passé», explique Mario Saint-Amand.

«Même si nos goûts sont différents, toutes nos décisions devaient servir le film, note Julien Knafo. Ça a été un exercice d'humilité.» «Il fallait piler sur nos ego, renchérit Nicolas Bolduc. Mais quand nous étions d'accord tous les quatre, ça voulait dire qu'on était sur la bonne voie. «

On peut pratiquement parler d'une expérience de colocation cinématographique, ici. «Nous n'étions pas attendus, c'est le fun de partir à quatre pour un premier film, souligne Marie Hélène Panisset. Pendant ce tournage, nous avons appris à nous remettre en question, et je pense que ça va nous aider dans nos projets futurs.»

Tout de même, la colocation n'a qu'un temps, et ils ont tous bien hâte de faire cavalier seul pour leurs prochains films. «J'ai comme le goût d'aller en appartement et de pouvoir manger ma toast tranquille dans ma cuisine...» résume Fabrice Barrilliet.

Mais on sent bien qu'ils auront toujours un poste à combler sur leurs plateaux respectifs pour les amis.