Il y a un demi-siècle, Jacques-Yves Cousteau et Louis Malle faisaient découvrir Le monde du silence, celui de la mer et des profondeurs. Depuis, les documentaires se sont multipliés, au cinéma et à la télévision, mais aucun n'a atteint la qualité et la force évocatrice d'Océans, un film de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, qui prendra l'affiche jeudi au Québec après une sortie en janvier en France.

Océans n'est pas un documentaire mais un opéra sauvage. Chaque plongeur caméraman, chaque opérateur a apporté des fragments de la partition: celle d'un hymne à la mer, dit Jacques Perrin. Trois ans de préparation, quatre ans de tournage dans 54 endroits du globe, 2000 scientifiques mis à contribution ont été nécessaires à cette entreprise pour que, dès les premières images, le spectateur devienne poisson parmi les poissons.

Accompagnées de très peu de commentaires et d'un soupçon de musique, plus de 80 espèces défilent sur l'écran. Des iguanes marins qu'on croirait venus d'une autre époque, des goélands qui plongent en piqué sur des bancs de poissons au milieu de dauphins, des otaries se roulant voluptueusement sur le sable, des méduses étranges et translucides, des murènes mi-poisson mi-serpent, des seiches géantes un peu effrayantes, des dauphins amis, des requins pas si féroces, de petits poissons colorés plongeant dans les coraux blancs et orange comme dans un bain de mousse, des millions de crabes formant un tapis monstrueux sur le fond de la mer et se marchant les uns sur les autres, un étrange poisson baptisé «labre à tête de mouton» qui donne l'impression de s'être trompé de tournage et de sortir du film Elephant Man...

Tout ce monde aquatique est aussi «le royaume de la nuit», la nuit éternelle, celle des profondeurs, là où les rayons du soleil ne parviennent jamais mais où la caméra et la lumière se sont aventurées. Et c'est également - plus que sur la terre ferme? - la loi de la jungle: on s'y fait dévorer comme qui rigole dans ces eaux pourtant limpides. Un phoque échappe une fois, deux fois à un requin, avant de se faire croquer la troisième fois. Et combien de ces petites tortues de mer à peine nées vont-elles atteindre la mer sans être happées sur la plage par les oiseaux?

Bien sûr l'homme est aussi un prédateur. Négligence, pollution, pêche sauvage: certaines images sont dures, comme celles de pêcheurs asiatiques tranchant des ailerons de requins avant de rejeter les pauvres bêtes à la mer, vivantes, plaie ouverte ensanglantée sur le dos, coulant à pic. Sur ces séquences, une petite phrase vous en dira plus, lors du générique de fin.

Malgré les méfaits de l'homme, Océans ne se veut pas moralisateur ou tireur de sonnette d'alarme comme ont pu l'être récemment les très bavards films de Nicolas Hulot (Le syndrome du Titanic), de Yann Arthus-Bertrand (Home) ou de Davis Guggenheim avec Al Gore (Une vérité qui dérange). Certes «on n'a jamais tant découvert, on n'a jamais tant agressé qu'aujourd'hui», dans la mer comme sur la terre, mais «tout est encore possible», dit la voix off, terminant le film sur une note d'optimisme malgré la visite d'un musée où sont exposées toutes les espèces marines déjà disparues...

Océans tire surtout sa qualité des moyens techniques exceptionnels utilisés pour son tournage. En 1996, Jacques Perrin avait déjà produit un film sur les insectes, Microcosmos, et en 2001 un autre sur les oiseaux (Le peuple migrateur, qu'il avait aussi coréalisé), et chaque fois le spectateur se demandait: mais où est la caméra? Dans Océans, la question demeure, tant les espèces filmées semblent ignorer qu'on les filme. La plupart du temps, les caméras étaient placées dans des caissons, ou dans des torpilles tractées par des bateaux, ou dans de mini-engins téléguidés; d'autres caméras ont été créées pour filmer à la fois sous l'eau et à l'air libre, et bien sûr, des scènes extérieures et aériennes (avec mini-hélicoptères) ont été tournées, avec ou sans présence humaine. L'équipe du film s'était donné un objectif, tout à fait réussi: «ne plus être au spectacle mais y participer».

L'explorateur et cinéaste Jean Lemire prête sa voix à la version québécoise de Océans.