L'étrange affaire Angelica du Portugais Manoel de Oliveira, projeté jeudi en ouverture de la sélection Un certain regard à Cannes, a les allures d'un conte onirique où le doyen des cinéastes en activité explore à nouveau un de ses thèmes récurrents, la spiritualité.

L'histoire se déroule à Régua, près de Porto, région d'origine du réalisateur. Un soir pluvieux, Isaac, jeune photographe qu'on devine tourmenté, est appelé par une riche famille de la région pour faire le portrait d'Angelica, qui vient de mourir.

Subjugué par la beauté de la jeune femme, dont le corps joliment habillé d'une robe blanche est exposé sur une méridienne au milieu du salon, Isaac croit la voir sourire à travers son objectif. Dès lors, son fantôme ne le quitte plus, revenant hanter ses pensées et ses rêves.

Dans une scène, poétique pour certains, surréaliste pour d'autres, Angelica vient le chercher et s'envole avec lui pour parcourir les airs et les vignes du Douro, avant qu'elle ne le lâche et qu'il ne se réveille en sursaut et solitaire dans le lit de la petite pension où il est logé.

Le scénario, tiré d'une expérience vécue par de Oliveira qui, un jour, photographiant une morte, a cru voir son esprit s'envoler, date de 1952, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Le personnage d'Isaac, juif, y fuit les persécutions nazies pour s'installer au Portugal.

Près de 60 ans plus tard, le cinéaste a dû revoir sa copie, resituant le propos à notre époque.

«J'ai actualisé. J'ai ajouté les thèmes de la pollution et de la crise économique», a déclaré Manoel de Oliveira lors d'une conférence de presse à Cannes.

Des sujets qu'il aborde avec causticité, tout comme il a su glisser quelques notes de malice dans un film marqué par une certaine mélancolie et l'éternelle interrogation de la vie après la mort.

Fidèle à ses longs plans fixes composés comme des tableaux, à une certaine lenteur opposé aux trépidations du monde moderne, le réalisateur qui aura 102 ans au mois de décembre, qui retrouve deux de ses acteurs fétiche - Leonor Silveira et Luis Miguel Cintra - rend un hommage marqué à sa région et au travail de la terre, incarné par sept ouvrier agricoles dont les chants résonnent comme un écho aux souffrances du héros.