Xavier Dolan est un jeune homme pressé. À 21 ans, il se comporte comme si les années lui étaient comptées. Ou comme si le décompte fatal était commencé pour notre pauvre planète: «Il faut se dépêcher, nous disait-il au moment de la sortie des Amours imaginaires cet automne à Paris, car vu l'état du monde, on ne sait pas si dans 10 ans on se posera encore la question futile de savoir si on aura son film au prochain festival de Cannes.» Et donc il court.

On l'attendait le lundi 22 novembre à la séance d'ouverture de Cinéma du Québec puisqu'il avait été nommé «parrain» de la 14e édition. Il est finalement arrivé de Stockholm pour se pointer le samedi à la séance de clôture et lâcher ces quelques mots succincts : «Le cinéma, c'est une certaine manière de ne pas se faire oublier. C'est donc plutôt cohérent, en somme, avec la devise du Québec: Je me souviens...» Là-dessus, le «petit prodige» a déjà disparu, après avoir refusé la plupart des interviews. L'attachée de presse a plus ou moins perdu sa trace.

Le lundi suivant, à 11 h 45 précises, il est tout de même au rendez-vous. Au coeur du quartier Saint-Georges, devenu branché depuis peu, le petit hôtel Amour est encore plus branché. Au rez-de-chaussée, une sorte de salon de thé en désordre qui donne sur un jardin intérieur. Aux étages, des chambres design pas trop chères pour Paris - mais sans téléphone: «Parfois c'est un gros inconvénient, dit le cinéaste, parfois c'est un avantage appréciable.»

De fait, le jeune homme était bel et bien au festival du film de Stockholm: «Mon film faisait l'ouverture, et il y avait un vrai buzz autour de lui. Avec Monia, on est donc venus trois ou quatre jours plus tôt. De manière à éviter de descendre d'avion pour s'enfermer dans une chambre d'hôtel et débiter à la chaîne des banalités itératives comme je l'avais déjà fait à Paris, Cannes et Montréal. Je comprends que la promo soit nécessaire, mais ce n'est pas ce que je préfère dans le métier. Franchement, je ne ferai pas le déplacement pour un festival en Alsace ou une sortie en salle à Bora Bora. Pour un petit film d'auteur non commercial, à quoi ça sert?»

Mais beaucoup de médias à Stockholm, donc, et des gens qui le reconnaissaient dans la rue (ce qu'il déteste), mais pas de palme: «Le prix est allé à un petit film américain indépendant», lâche-t-il sans s'attarder sur le sujet. En tout cas, c'était son premier passage à Stockholm, et peut-être son dernier: «Les hommes suédois sont d'une beauté sidérante, plaisante-t-il, mais extrêmement chiants. Et là-bas, le contrôle social est effarant: si un gars songe à prendre sa voiture après un demi-verre de vin, ses amis l'en empêchent. Côté drogue, on est tombés sur la saison sèche qui a l'air de durer 365 jours par année.»

La Suède, d'ailleurs, c'est oublié depuis longtemps. Avec Dolan, les affaires ne traînent pas. Pour lui, Les amours imaginaires, c'est de l'histoire ancienne: «Quand nous sommes allés en bagnole aux États-Unis en 2009 avec Niels et Monia, dit-il, c'était avant le tournage des Amours. Je voulais faire des repérages, mais c'était pour Laurence Anyways

Comme les grands joueurs d'échecs, il a donc toujours deux ou trois coups d'avance. Le tournage de Laurence Anyways va débuter en février prochain au Québec, s'interrompre, et reprendre à l'automne de 2011: «S'il est question de Cannes, ce sera en 2012.» Le film, coproduit par Mk2, avec Louis Garrel et Nathalie Baye en vedette, a un budget 8 ou 10 fois plus important que le précédent: «C'est seulement un luxe inouï qui m'est offert de disposer de temps pour le tournage.»

Sortie du film au printemps 2012, donc. On ne sait pas si le moindre détail du scénario et des dialogues est déjà fixé, comme c'est le cas quand il commence un tournage, mais en tout cas notre cinéaste est déjà sur le film suivant et y pense continuellement: «Ça s'appellera Letters to a Young Actor, dit-il, ce sera tourné à New York avec des acteurs américains. Connus? Oui, bien sûr, mais je ne vous dis pas lesquels...»

New York, c'est la ville préférée de Dolan: «J'y ai déjà séjourné une vingtaine de fois, je connais cette ville comme si c'était chez moi. Ce dont je rêve, c'est de la réalisation d'un TGV qui la relierait à Montréal en deux heures. New York ferait alors partie du Québec... Ce serait mieux que d'aller à Burlington prendre un avion qu'il faut pousser soi-même.»

La France, manifestement ce n'est pas tout à fait pareil: «Quand je vais à New York, j'arrive chez moi. Quand je viens en France, j'arrive à Paris.» Bien sûr, quand il a débarqué à Cannes en 2009, avec J'ai tué ma mère, il a affronté la meute médiatique avec le plus grand naturel: «Ça s'est passé à peu près comme je l'avais rêvé et en même temps je n'avais pas désiré Cannes pendant 35 ans. Le temps de cinq secondes, je me suis retrouvé les pieds dans la beach. Et donc, je n'ai même pas eu le temps d'avoir peur. J'ai suivi le rythme. Je n'allais quand même pas faire le numéro du colon qui s'évanouit en frôlant Penélope Cruz ou lui fait des Buenas noches from Longueuil!» Bien sûr, la France a fait «un accueil formidable et réconfortant aux Amours, après une réception plutôt tiède au Québec», et il lui en est «reconnaissant». Mais Paris reste «une ville où on me parle cinq fois par jour de mon accent et où je vis le syndrome du marin pittoresque, ce qui est fatigant. Ça donne l'impression d'être sous une loupe».

À 21 ans, Xavier Dolan vient de connaître en France, pour Les amours imaginaires, un accueil médiatique fabuleux. Et un joli succès au guichet. Mais pour lui Paris n'est pas le centre du monde. Ça tombe bien, puisque paraît-il il déteste les voyages en avion.

«Ma phobie de l'avion? Ah non, dit-il négligemment. Ça c'était avant. Maintenant ça ne me dérange plus.» Avant, c'était à l'été de 2009, quand il avait préféré ne pas venir à Paris pour la sortie de J'ai tué ma mère. C'était il y a un an et demi: autant dire une éternité.