L'autre Dumas fait écho à ce qu'aurait pu être la relation entre l'auteur des Trois Mousquetaires et son «nègre» Auguste Maquet. Cette fiction donne aussi l'occasion au réalisateur Safy Nebbou d'orchestrer une rencontre au sommet entre Gérard Depardieu et Benoît Poelvoorde.

Dans ses deux premiers films, Le cou de la girafe etL'empreinte de l'ange, qu'il avait coécrits, Safy Nebbou proposait des variations sur le thème de la crise d'identité. Même si L'autre Dumas s'inscrit dans un genre très différent, et procède d'une tout autre démarche, les préoccupations habituelles de l'auteur cinéaste figurent néanmoins au coeur de cette comédie dramatique historique «en costumes».

«C'est le premier film de commande que j'accepte; le premier qui m'ait fait vraiment envie, déclarait d'entrée de jeu le réalisateur au cours d'une interview accordée à La Presse dimanche dernier à Paris. Je sentais que je pouvais faire ce film mien, même s'il s'agit d'une commande. Quand on m'en a proposé la réalisation, l'idée m'a plu tout de suite à cause de la dynamique particulière qui lie les deux hommes. L'autre Dumas n'est pas un film biographique. Auquel cas, je ne l'aurais tout simplement pas fait.»

Au départ, il y a cette pièce de Cyril Gely et Éric Rouquette, intitulée Signé Dumas, que le scénariste Gilles Taurand (Nettoyage à sec, L'armée du crime) a remaniée aux fins d'adaptation cinématographique. Le récit s'attarde à décrire les liens particuliers qui se nouent entre Alexandre Dumas, écrivain populaire à qui tout vient facilement, et Auguste Maquet, le «nègre» dont l'apport, bien qu'essentiel, ne sera pratiquement jamais reconnu. L'un est un jouisseur invétéré qui profite à plein de sa notoriété; l'autre est un besogneux taciturne, déchiré entre l'admiration qu'il éprouve pour son mentor, dont il n'a pas le génie, et la frustration découlant de cette situation injuste. Or, le conflit émerge le jour où, à la faveur d'un quiproquo, Maquet emprunte l'identité de celui à qui il prête son talent afin de séduire une jeune femme.

Nebbou ne s'en cache pas: il a beaucoup pensé à Amadeus. Forcément. D'autant que le chef-d'oeuvre de Milos Forman fut aussi inspiré par une pièce (signée Peter Shaffer).

«Pour nous, le défi était d'illustrer une démarche littéraire, explique le réalisateur. Au cinéma, cela n'est jamais simple. Nous avons eu recours à un ressort qu'on utilise au théâtre. C'est-à-dire que nous avons écrit une histoire à la Dumas avec des élans romanesques, des histoires d'amour, du sexe, de l'aventure, des élans poétiques. Nous avons voulu évoquer, grâce au récit, l'oeuvre d'un auteur populaire dans le sens le plus noble du terme. Cette histoire comporte aussi beaucoup de résonances à notre époque. Tout le monde cherche maintenant la notoriété, la reconnaissance. On veut être connu, peu importe le moyen pour y arriver. Maquet se prend à son propre jeu parce qu'en empruntant l'identité de Dumas, il se fait regarder comme personne ne l'avait fait auparavant. Il y prend goût.»

Une approche sobre

L'autre Dumas se distingue notamment grâce à la rencontre au sommet à laquelle participent deux acteurs plus grands que nature. Si l'idée de confier le rôle de Maquet à Benoît Poelvoorde fut rapidement envisagée, il en fut pourtant autrement pour celui de Dumas. Safy Nebbou a en effet beaucoup hésité avant de faire appel à Gérard Depardieu pour incarner l'auteur de La reine Margot.

«Gérard est un acteur fabuleux, mais je craignais que les gens ne voient dans ce personnage qu'un énième rôle dans lequel Depardieu fait du Depardieu, explique le cinéaste. Au début du tournage, Gérard a d'ailleurs eu tendance à s'appuyer là-dessus. Il a fallu lui suggérer d'emprunter une approche plus sobre, lui dire qu'il était inutile d'en rajouter, le personnage étant déjà assez démesuré en soi. Et même si Dumas peut faire preuve de cruauté, il reste que son regard sur Maquet reste très tendre. Ces deux hommes étaient soudés par une amitié solide. C'est à partir de ce moment que Gérard a pris plaisir à jouer le rôle. Il s'est révélé magnifique.

«Benoît, poursuit-il, a vu en Maquet un défi. Dans la mesure où il devait jouer tout en retenue, ce qu'il n'a pas eu souvent l'occasion de faire. Ce fut difficile pour lui, cela dit. Certains jours, il était frustré que je lui demande de toujours en faire moins. Il craignait qu'il ne reste plus rien!»

Panne de désir

En France, la carrière publique de L'autre Dumas n'a pas été à la hauteur des espérances.

«En fait, analyse Safy Nebbou, il n'y a pas eu de désir. Bien des gens ont cru que L'autre Dumas ne serait qu'une variation de ce qu'ils ont déjà vu à la télé dans les séries, notamment Le comte de Monte-Cristo avec, déjà, Gérard. Ils n'ont pas eu envie de retrouver ça au grand écran. Le film en a souffert. Or, ceux qui l'ont vu se sont vite rendu compte que ça n'avait rien à voir.»

Safy Nebbou entamera bientôt le tournage de Mauvaises herbes, une adaptation cinématographique du roman de Boileau-Narcejac L'âge bête. Les têtes d'affiche sont Émile Berling, récent lauréat du prix Lumière du meilleur espoir masculin grâce à son rôle dans Le bruit des glaçons (Bertrand Blier), et son père Charles.

«Ce sera sans doute le film le plus noir, le plus radical que j'aurai jamais fait!» prévient le cinéaste.

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L'autre Dumas prend l'affiche le 21 janvier. Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.