«Je sais comment faire peur. Ce n'est pas un don. C'est seulement un truc. C'est dans les yeux.»

Pantalon et veste en pied-de-poule, Anthony Hopkins est assis décontracté devant une vingtaine de journalistes pendus à ses lèvres. L'acteur se tait, puis promène son inquiétant regard dans la salle. Un ange passe, sûrement le fantôme d'Hannibal Lecter. Les journalistes rient d'un rire jaune.

Hopkins a effectivement un truc. Et il s'en sert une fois de plus dans le long métrage The Rite, qui sort en salle vendredi prochain. Réalisé par le Suédois Mikael Hafström (1408), ce thriller mystique est le dernier d'une flopée de films d'exorcisme produits ces derniers temps par Hollywood.

Hopkins y joue le rôle du père Lucas, vieux jésuite exorciste qui doit livrer sa dernière bataille contre Satan. Il donne la réplique au jeune comédien irlandais Colin O'Donoghue, qui incarne le séminariste Michael Novak, venu étudier à l'école d'exorcisme du Vatican. Aux yeux de ce jeune sceptique, la «possession» n'est qu'une simple manifestation psychotique. Mais l'aventure de plus en plus sombre dans laquelle il va s'enfoncer finira par ébranler ses doutes.

L'histoire s'inspire librement d'un livre du journaliste Matt Baglio paru en 2007 (The Rite: The Making of a Modern Exorcist), lui-même basé sur l'expérience du prêtre américain Gary Thomas, exorciste patenté qui a par ailleurs agi à titre de consultant pour le film.

Rencontré quelques minutes avant Anthony Hopkins, le prêtre admet qu'Hafström a quelque peu «jazzé» les faits dans The Rite. Mais, dans l'ensemble, dit-il, tout ce qu'on y voit était dans le bouquin. «Je dirais que c'est librement basé sur le livre, constate Gary Thomas. Un film est un film. On y va avant tout pour se divertir. Normal qu'Hollywood ait tendance à dramatiser les événements.»

À ce chapitre, le prêtre évoque certains passages plus violents, où l'exorciste est pris à la gorge par une jeune fille possédée. Cela ne lui est jamais arrivé, même s'il affirme avoir vécu des moments autrement plus extrêmes, qui n'ont pas été conservés dans le scénario. «Toutes les scènes d'exorcisme sont authentiques. J'ai vu de l'agressivité. Mais disons que ce n'était peut-être pas aussi... démonstratif.»

Mais alors... quand a-t-il été vraiment «attaqué» par le démon? «Quand j'ai remis en question mon célibat et que j'ai eu des tentations sexuelles!» répond-il spontanément.

Un vaste débat

Plusieurs scènes de The Rite ont été tournées à Rome autour du Saint-Siège. Mais au dire d'Hafström, le Vatican ne s'est en aucun moment engagé dans le film.

L'Église américaine, et particulièrement son évêque, ont en revanche «totalement soutenu» le projet, d'où la collaboration du père Thomas, à la fois sur le plan de la production et de la mise en marché. Peut-être voyait-on là une chance de susciter des vocations ou de raviver la flamme catholique.

Il faut dire qu'en cette époque particulièrement agnostique, The Rite a le mérite de relancer le débat sur la foi. Faut-il croire ou ne pas croire? Les «possessions» relèvent-elles de la psychiatrie ou de la théologie? Sont-elles de la simple psychose ou des manifestations anthropomorphiques du diable? Croire en Dieu signifie-t-il automatiquement que l'on doit croire au diable? Vastes questions auxquelles il est peut-être préférable de ne pas répondre, siffle Anthony Hopkins.

«Comme athée, je sais seulement que je ne sais rien. Et que je préfère de loin mon incertitude à la certitude de ceux qui ont la foi. Cela dit, qui suis-je pour réfuter ceux qui sacrifient leur vie pour l'Église?» demande-t-il.

Élevé dans une famille non religieuse et à moitié juive, Mikael Hafström évite lui aussi de trancher. «Nous avons tous notre part sombre, nous avons tous des démons, dit-il simplement. À chacun de choisir comment il veut les chasser. Certains vont aller voir l'exorciste, d'autres le psychothérapeute.»

Le père Thomas, lui, se dit convaincu que, mystiques ou non, nous avons tous en nous un «fond de spiritualité». Le problème, c'est que «nous vivons dans une époque où le besoin de savoir est devenu plus grand que le besoin de croire».

Évidemment, avoir la foi est un préalable au fait de devenir exorciste, ajoute Gary Thomas. Mais ce n'est pas tout: «Il faut aussi être sans peur.» Voilà pourquoi, selon lui, peu de prêtres se battent pour ce job. «C'est devenu ma spécialité par défaut: celui à qui on l'avait offert avant moi avait décliné l'offre...»

Un sujet fascinant

Hafström admet avoir revu The Exorcist, de William Friedkin, avant de plonger dans The Rite. Le film de 1973 demeure selon lui un classique absolu, notamment à cause de son rythme plus lent que les productions d'aujourd'hui. Mais il insiste: là s'arrêtent les comparaisons avec son long métrage.

«Mon film est totalement différent. Sinon je ne l'aurais jamais fait, dit-il. Pour ce qui est de cette vague de films d'exorcisme sortis au cours des dernières années, eh bien tant pis. Je n'ai pas fait The Rite pour faire partie d'une tendance, mais parce que c'était un sujet fascinant.»