Vingt-trois enfants sont assassinés dans The Hunger Games. Une première élimination se déroule dans un bain de sang. Les survivants du carnage préliminaire, armés de lancettes, de poignards, d’arbalètes et d’autres instruments tout aussi propices aux rapprochements, s’entretueront ensuite en utilisant des méthodes aussi suaves que l’ingestion de fruits empoisonnés, l’attaque féroce par des animaux synthétisés, le simple tordage de cou, ou, mieux, le pétage de crâne sur de la roche. Ils ont de 12 à 18 ans. Bravo pour votre beau programme.


Cette histoire édifiante peut être vue, depuis aujourd’hui, par toute âme qui vive au Québec. La Régie du cinéma a en effet attribué à ce premier volet (misère !) de l’adaptation cinématographique des romans à succès de Suzanne Collins une cote « G », assortie de la mention « Déconseillé aux jeunes enfants ». Il y a quatre ans à peine, cette même Régie interdisait formellement aux personnes âgées de moins de 16 ans de voir Tout est parfait parce que l’excellent film d’Yves-Christian Fournier traitait du suicide chez les adolescents. Arrêtons-nous un moment. Et pinçons-nous.


«La mention "Visa général" ne veut pas dire que le film présente nécessairement un intérêt pour les enfants», peut-on lire sur le site web de la Régie du cinéma du Québec. «Elle signifie plutôt que son contenu n’est pas susceptible de les perturber. Si toutefois le film classé "G" est de nature à heurter la sensibilité des enfants de moins de huit ans, la Régie du cinéma ajoute au visa général l’indication "Déconseillé aux jeunes enfants".»


Bien sûr, le réalisateur Gary Ross n’a pas insisté sur les effets « gore » dans son film. La caméra détourne même parfois son regard sur les actes les plus violents. La société Lionsgate comptant faire de The Hunger Games une franchise à la Twilight ou à la Harry Potter, il n’était pas question de livrer autre chose qu’un film coté « PG – 13 » aux États-Unis. Or, le seuil de tolérance à propos de la violence semble quand même avoir été dépassé.

L’organisme américain non partisan Common Sense Media, qui évalue de son côté les cotes attribuées par la MPAA (Motion Picture Association of America), estime que le film n’est pas approprié pour tous les publics. «Certains enfants de 13 ans pourront le prendre ; d’autres non, a déclaré au magazine Entertainment Weekly Betsy Bozdech, porte-parole de l’organisation. Il faut d’abord bien connaître son enfant et prendre une décision en conséquence.»


Remarquez qu’on se place d’emblée ici au-delà de la «sensibilité des enfants de moins de huit ans»…

Au Québec, le souci de réalisme pèse lourd dans la grille d’analyse des évaluateurs de la Régie. C’est d’ailleurs à cause de son approche réaliste que Tout est parfait fut interdit à ceux-là mêmes à qui il aurait pu directement s’adresser. Pour The Hunger Games, on se terre plutôt derrière le paravent de la science-fiction pour tout laisser passer. Or, l’approche que privilégie Gary Ross dans son film ne pourrait être plus réaliste, plus perturbante, voire même plus choquante.


Le « spectateur-voyeur »
La notion de critique sociale, si chère aux admirateurs des romans, est complètement évacuée de ce premier volet cinématographique. Au point où la notion d’obligation pour chaque citoyen de ce pays totalitaire nommé Panem de syntoniser cette téléréalité sanglante – élément crucial de l’histoire s’il en est – n’est même pas mentionnée. Ainsi, le rôle du « spectateur-voyeur » n’est pratiquement pas remis en question. Jamais ne sent-on le poids du regard collectif – favorable ou pas – sur ce jeu sordide dans lequel on laisse des enfants s’entretuer. De sorte que The Hunger Games peut très bien être vu comme du simple spectacle morbide. Le constat tient ici lieu de point de vue. La télé-réalité existe. Elle a déjà largement dépassé les bornes. On vous propose aujourd’hui une vision de ce qu’elle sera demain inévitablement. Parce que c’est comme ça. Venez voir.


The Hunger Games propose une réflexion sur le phénomène ? Permettez-nous d’en douter. Les Big Brother, Occupation double, Survivor, et tous les autres Loft Story de ce monde n’ont strictement rien à craindre. Et on prévoit que les recettes de ce beau « divertissement familial » qu’est The Hunger Games atteindront ce week-end autour de 140 millions en Amérique du Nord seulement.


Il y a décidément quelque chose de pourri au royaume de Panem aussi, cher William.