Il est rare, même dans le documentaire, qu'un film présente une adéquation parfaite entre la forme et le fond. C'est pourtant l'exploit réalisé par le magnifique et profond Bouton de nacre (El botón de nácar) de Patricio Guzmán. Tellement que son puissant, intelligent et évocateur long métrage sur les errements du Chili, son pays natal, lui a valu l'Ours d'argent du scénario au Festival de Berlin en 2015!

On comprend pourquoi après avoir vu cette oeuvre poétique et finement construite. Le réalisateur de La bataille du Chili n'a eu de cesse, dans sa carrière, de raconter son pays. Mais, cette fois, il prend une approche moins directe, plus en phase avec les grands mystères cosmiques.

Le bouton de nacre s'ouvre sur un bloc de quartz, vieux de 3000 ans, qui contient une goutte d'eau. Puis enchaîne sur le plus grand radiotélescope du monde qui, au Chili, scrute l'univers à la recherche de planètes qui contiennent de l'eau -  source de vie. S'ensuit une expérience sensorielle mémorable, rythmée par la musique aquatique, des gouttes d'eau aux craquements des glaciers, sur de magnifiques images du bout du monde: la Patagonie.

Bien que fasciné, on se demande où Guzmán veut en venir. D'autant qu'il nous montre des photos en noir et blanc des cinq peuples qui ont occupé ces lieux déserts depuis la nuit des temps. Ces peuples de l'eau ont sillonné rivières et océans, au contraire des Chiliens, qui n'ont pas su profiter de cette ressource naturelle qui borde les 4200 km de côtes du longiligne pays. Comme le dit un universitaire, ils n'ont pas su l'assumer comme un élément de leur identité.

Mais une fois tous ces éléments en place, le réalisateur nous a amenés là où il le voulait dès le début. À un endroit où il peut nous raconter très concrètement le génocide des Indiens, symbolisé par ce bouton de nacre donné à Jemmy Button par Robert FitzRoy, en 1830. Le vice-amiral de la marine britannique, chargé de cartographier les lieux, l'amène à Londres puis le ramène en Terre de feu. Il a ainsi oblitéré son identité et ouvert la contrée à la colonisation. Pour les premiers habitants, c'est le début de la fin (de 8000 à une vingtaine de survivants de nos jours).

Les Québécois y verront des parallèles évidents avec l'histoire des Inuits et, dans une moindre mesure, avec les Innus. Mais Le bouton de nacre ne s'arrête pas en si bon chemin. Puisqu'au fond de l'eau, il trouve un autre bouton, agglutiné à un rail qui servait à ligoter les opposants à la dictature des années de plomb qui finissaient leurs jours largués dans l'océan par hélicoptère, après le renversement du régime de Salvador Allende, en 1973.

N'en disons pas plus et laissons le film faire sa démonstration de liens insoupçonnés entre l'homme, la nature et le cosmos. On a craint un moment un discours ésotérique, il est plutôt ethnographique, philosophique et poétique. On dit que l'eau a une mémoire, elle a aussi une voix pour qui sait l'écouter, suggère Patricio Guzmán: «Tout est une grande conversation» liée à l'eau, qui compose la grande majorité de notre monde, même notre corps. «Toute est dans toute», comme disait Raôul Duguay.

On n'a qu'à voir ces hallucinantes photos d'hommes dont les corps peinturés représentent le firmament nocturne et qui croyaient que les morts se transforment en étoiles...

* * * 1/2

Le bouton de nacre. Documentaire de Patricio Guzmán. 1h22.

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