Le Québec des années 50, les difficiles conditions de travail des mineurs de l'Abitibi, les premiers balbutiements du syndicalisme, le clergé, Duplessis (et ses orphelins),   l'émancipation politique de la province, le cinéaste André Forcier livre un concentré de son cru de la petite histoire du Québec dans son dernier film au titre évocateur, Je me souviens.

Celui qu'on surnomme «l'enfant terrible du cinéma québécois», l'homme derrière des oeuvres aussi singulières que L'eau chaude, l'eau frette, Au clair de la lune et Le vent du Wyoming, avoue au Soleil que cette «histoire inventée» est sa «vision personnelle de ces années noires». Il ne faut donc pas s'étonner de l'entendre assurer la narration de cette production tournée en... noir et blanc, Grande Noirceur oblige.

L'univers de Forcier n'est jamais banal. Dans Je me souviens (à l'affiche la semaine prochaine), il est question de syndicalisation des mineurs abitibiens (en écho aux grèves de Murdochville et d'Asbestos), d'un monseigneur Madore (Rémy Girard) acoquiné avec le «cheuf» (Michel Barrette) pour tuer dans l'oeuf le mouvement ouvrier, mais aussi d'une veuve (Céline Bonnier) mère d'une fillette, Némésis (Alice Morel-Michaud), qui se mettra à parler le gaélique au contact d'un indépendantiste irlandais (Roy Dupuis). Jamais banal, disions-nous...

Interprétation personnelle

«J'aime bien exacerber la réalité pour qu'elle soit plus vraie, comme avec les orphelins de Duplessis», explique le vétéran cinéaste à l'occasion de sa tournée de promotion qui l'a conduit à Québec cette semaine. «Je crois que ça apporte plus de vérité qu'en racontant une simple anecdote. J'ai puisé dans mes souvenirs d'enfance avec une fillette (Némésis) qui est le substrat du film. C'est mon interprétation personnelle de ces années-là, tout en cherchant à créer une ouverture sur le présent. Je laisse au spectateur une immense marge d'interprétation.»

À l'origine, Je me souviens devait s'intituler Némésis, mais Forcier l'a abandonné après avoir appris qu'un film allemand portait ce titre. La nouvelle appellation, devise du Québec, est d'autant plus forte, selon lui, qu'elle fait oeuvre de mémoire pour un peuple qui a perdu contact avec son histoire.

Homme qui n'a jamais eu la langue (ni la caméra) dans sa poche, André Forcier trouve «pathétique» la collusion d'antan entre le clergé et Duplessis pour s'opposer à l'amélioration des conditions de travail des mineurs. À ses yeux, le seul héritage valable du politicien à la poigne de fer est d'avoir amené un peu plus d'autonomie au Québec face à Ottawa. «Je me souviens de sa mort, en 1959, mais surtout du célèbre Désormais de Paul Sauvé.»

Le Québec ne va nulle part

Le réalisateur n'aime pas tellement ce qu'il voit du Québec d'aujourd'hui. «On a fait des progrès, en éducation par exemple, mais pour le reste, rien. On tourne en rond. Avant d'aller quelque part, on s'en va nulle part...» déplore-t-il au sujet de l'avenir politique de la province. La controverse autour de la commémoration de la bataille des plaines d'Abraham le désole tout autant. «Politiquement, c'est ridicule. C'est inouï de penser célébrer la défaite d'un peuple.»

À 61 ans, André Forcier n'a pas l'intention de prendre sa retraite de sitôt. Il a encore des idées plein la tête, des idées qui le conduiront pour son prochain film dans le quartier ouvrier Côteau rouge, à Longueuil. «Je suis l'un des rares réalisateurs qui persistent à écrire ses scénarios. Pour moi, l'acte d'écrire est intimement lié à l'acte de tourner.»

Entre-temps, Forcier a bien l'intention, dès la semaine prochaine, de faire du rattrapage et de voir tous les films qu'il a ratés dans la dernière année. «Je vais me taper 60 films en 10 jours. Ce sera mon festival à moi. C'est comme ça que je me grounde...»