Les Québécois boudent-ils leur cinéma? Après plusieurs étés de bonnes recettes, le cinéma québécois a attiré cette saison beaucoup moins de spectateurs en salle. Pour la belle saison 2008, la part du cinéma québécois dans les recettes totales du cinéma a dégringolé en deçà des 10 %, son plus faible niveau en six ans.

Il semble loin, l'été 2005, celui des records. Pour la saison 2008, la part de marché du cinéma québécois ne représente que 8,4% de l'ensemble des cinématographies présentées sur les écrans de la province. C'est moins qu'à l'été 2007 (10,7 %), c'est moins aussi que l'été 2006 (14,6 %) et c'est plus loin, encore, de l'été 2005 (21,7 %).

Le succès de la saison, c'est Cruising Bar 2. Avec plus de 3,4 millions de recettes au guichet, la comédie de Robert Ménard est le seul film québécois ayant réussi à se hisser parmi les 10 films, toutes origines confondues, les plus populaires au Québec. Autre signe distinctif: Cruising Bar 2 est le seul film québécois dont les recettes ont dépassé le million pendant la belle saison.

Au palmarès québécois, Cruising Bar 2 est suivi par Un été sans point ni coup sûr, de Francis Leclerc (795 670 $ de recettes), et Maman est chez le coiffeur, de Léa Pool (627 900 $). Le piège américain, de Charles Binamé, a fini sa carrière en salle avec 442 185 $ de recettes au guichet, selon le bilan compilé par Cinéac paru hier.

«L'été, peu de films québécois prennent l'affiche. On est tributaires de leurs succès. Certaines années, plusieurs titres font bien en parallèle. Il faut que les films soient fédérateurs, et ça, ça dépend d'un paquet de facteurs, analyse Simon Beaudry, président de Cinéac, avant de relativiser: 8,4 % de parts de marché, c'est quand même très bon. On est encore dans la zone des 10 %.»

Les résultats de l'été 2008 semblent pourtant minces si on les compare à ceux des crus 2005 (les recettes d'Aurore et C.R.A.Z.Y. dépassaient les 5 millions chacun), 2006 (Bon Cop Bad Cop a engrangé plus de 6 millions) et de 2007 (Nitro et Les 3 p'tits cochons ont récolté tous deux plus de 3 millions au box-office pendant l'été).

Dans l'industrie, des exploitants de salles, aux producteurs et distributeurs, on ne cache pourtant pas sa déception. «C'est certain que ce n'est pas très joyeux, concède le producteur Pierre Even (Le banquet). Je ne suis pas inquiet pour l'avenir, car 2009 sera une grosse année, mais malheureusement, 2008 n'a pas répondu à nos attentes.»

«Je pense qu'avec les films qu'on avait, on aurait pu faire beaucoup mieux», tempête Vincent Guzzo, le vice-président des cinémas Guzzo. Selon l'homme d'affaires, la mise en marché de Cruising Bar 2 ou du Piège américain, distribués par Alliance Vivafilm, n'a pas été à la hauteur de leur potentiel.

«Le gros problème du cinéma québécois, c'est que tout le monde se paie avant la mise en marché, et après, y a plus d'argent, estime-t-il. Si le distributeur n'a plus d'argent, il va te saboter ton film () Si on fait un calcul, sur le marketing direct, les budgets sont à la baisse, donc la baisse du box-office, ce n'est pas étonnant.»

Faux, répond Patrick Roy, le patron d'Alliance Vivafilm. «On fait les mêmes efforts qu'auparavant, dit-il. On doit se réinventer. Il y a une façon de lancer des films, notamment sur l'internet, et on ne peut pas faire abstraction de ça. Il faut réfléchir, réviser les façons de faire.»

Nicole Robert, la productrice du Cas Roberge, de Raphaël Malo, dont la carrière en salle a tourné court, croit quant à elle que 2008 est une année «exceptionnelle». «Il y a eu des films indépendants, les problèmes de Christal Films Mais le talent est encore là. L'industrie sait ce qu'elle fait.»

Les propriétaires de salles de cinéma ne devraient pas pour autant bouder le cinéma québécois. «C'est encore très important pour moi. On va toujours donner au cinéma québécois les écrans dont il a besoin», promet Jean Colbert, le président de l'Association des cinémas et cinéparcs du Québec.